Le calme des vieilles troupes.
C’est bien le rythme et la vivacité qui font d’abord l’intérêt du Choix des armes et qui permettent de passer au dessus d’un scénario un peu funambulesque. Qu’est-ce que j’entends par là ? Non pas un scénario vraiment compliqué, fuligineux, incompréhensible, comme il en existe tant et tant : non, le récit est bien maîtrisé et clairement conté. Mais plutôt parce que le scénario, de Michel Grisolia (à qui on doit notamment Flic ou voyou, agréable polar parodique de Georges Lautner avec Jean-Paul Belmondo) est assez mécanique et que, comme toutes les mécaniques, il manque un peu de chaleur et de chair.
Un défaut important, par exemple, dont on ne s’aperçoit qu’après coup (parce que, pendant le film, on est entraîné par la cadence rapide, tendue, violente), un défaut important est la suite invraisemblable de hasards qui périodiquement mettent en contact les protagonistes : c’est ainsi que Mickey (Gérard Depardieu) revient dans la grande maison de Noël Durieux (Yves Montand) exactement au moment où les policiers Bonnardot (Michel Galabru) et Sarlat (Gérard Lanvin) s’apprêtent à la quitter ; que Mickey croise fortuitement (ou bien facilement) son ancien ami Dany (Richard Anconina) qui va l’aider ; que Durieux et Ricky (Jean-Claude Dauphin), le complice drogué, n’ont pas grand mal et n’attendent pas longtemps avant de tomber sur Mickey ; qui lui-même repère un peu plus tard par hasard les deux hommes ; que Durieux quitte sa maison, y laissant Mickey presque au moment où la police arrive et qu’il y revient précisément lorsque Sarlat va arrêter Mickey…
Je conçois que ces notations sont à peu près incompréhensibles pour qui n’a pas vu le film ou l’a à peu près oublié. Sans doute, mais on peut tout de même ainsi assez bien se rendre compte du caractère un peu artificiel de la machinerie.
Ce qui ne rend pas du tout, pour autant, le film négligeable. Je l’ai souvent dit et le répète : ce qui est primordial, dans un thriller de genre, c’est le rythme, le halètement qu’on ressent en suivant ses péripéties, le fait qu’on ne puisse pas décrocher de l’histoire racontée, quel que soit son degré de vraisemblance. D’autant qu’il y a dans Le choix des armes quelque chose qui est toujours intéressant : la collision entre deux mondes, doublée ici d’une collision entre deux générations.
Même si, là aussi, c’est assez théâtralisé, les séquences parallèles du début du film qui passent assez rapidement du monde crasseux de Mickey/Depardieu au monde opulent et paisible de Durieux/Montand, des blocs d’immeuble dévastés des petites frappes (à La Courneuve en Seine Saint-Denis) à la belle demeure où Durieux et sa femme Nicole (Catherine Deneuve) élèvent des chevaux sont très efficaces ; vieux procédé, certes, mais très bien appliqué.
Voilà encore un film interprété avec densité ; il est possible de penser que le rôle de Durieux, truand retiré des affaires aurait été mieux tenu par Lino Ventura que par Yves Montand, que le rôle de Catherine Deneuve est d’une grande platitude et la rend presque insignifiante ; que Gérard Lanvin hystérise trop le personnage du jeune policier. Mais Gérard Depardieu apporte à tout moment son éblouissant talent, dans les crises de folie furieuse tout autant que dans l’attendrissement devant sa toute petite fille qui ne le connaît pas, Galabru est bourru et minable comme il faut et les rôles secondaires (Christian Marquand, Jean Rougerie, Étienne Chicot, Jean-Claude Bouillaud) sont excellents dans leurs jus divers et presque melvilliens.
Talent singulier d’Alain Corneau, réalisateur disparate, capable du meilleur, crasseux (Série noire), janséniste (Tous les matins du monde), nerveux (Police python 357), exotique (Stupeur et tremblements) et du pire, poussif (La menace), niais (Le prince du Pacifique), scandaleux (le remake du Deuxième souffle) … Trotskyste, en plus. Et mort sans qu’on en parle plus guère.