Je pourrais presque recopier mot à mot ce que j’ai écrit ici il y a quelques années sur Mon frangin du Sénégal, identiquement réalisé par Guy Lacourt, scénarisé et dialogué par Norbert Carbonnaux, mis en musique par Norbert Glanzberg et interprété par le couple (à la scène comme à la ville) Raymond Bussières et Annette Poivre. Ça faisait un moment que je ne m’étais pas replongé dans mon honteuse passion des nanards français des années 50 et je ne pouvais pas me tromper beaucoup d’orientation en allant voir du côté de la fine équipe précitée.
On peut dire que j’ai été servi. Et copieusement, même. Devant ce genre de spectacles, on demeure toujours effaré devant l’inanité du scénario, la stupidité des situations, la médiocrité des dialogues et plus surpris encore que cet amalgame indigeste finisse par dispenser un certain charme.
Celui, évidemment, des salles du samedi soir, des ouvreuses qui vous plaçaient, avant de revenir à l’entracte vendre Esquimaux Gervais et bonbons de La pie qui chante (je pense que Kréma est arrivé bien plus tard), des fauteuils en velours râpés, des documentaires sur l’exploitation de la lentille dans le Vermandois, des actualités Pathé journal ou Fox-moviétone. Charme, aussi, des rues de Paris presque aussi belles qu’aujourd’hui, des passants moins avachis que ceux de maintenant, des fêtes foraines pleines d’attractions rigolotes et de jeux de force pure (le mannequin dont il faut frapper le ventre le plus violemment possible pour faire tournoyer l’aiguille qui mesure la force du coup, la fusée montée sur rail qu’il faut propulser le plus haut possible d’un vigoureux coup de poignet) et non ces manèges bruyants et aveuglants de néons qui sont désormais la règle… Charme évident du C’était mieux avant.
Mais ce (tout petit) charme ne tient pourtant pas bien longtemps et on en épuise vite les ressources. Heureusement, ça ne dure que 80 minutes (et malheureusement le sagouin René Château a traité par le mépris les cinq dernières minutes, qui étaient originellement en couleurs Gévéor et qui, là, demeurent en Noir et Blanc).
Ouistiti maigrelet qui rêve d’être un colosse, Jules (Raymond Bussières) est livreur à vélo du grand couturier Jacques Heim. Le bistro qu’il fréquente abrite une bande de mauvais garçons (Pierre Mondy, Alexandre Rignault, Roger Saget) dirigée par M. Pierrot (Jean Max) et sa gourgandine (Colette Darfeuil). Le pauvre Jules est un peu la tête de Turc, le souffre-douleur de la bande. Par une suite de hasards invraisemblables, Jules retrouve, lors d’un cambriolage, Nénette (Annette Poivre) depuis toujours amoureuse de lui.
Je vous la fais courte : les cinquante premières minutes de film sont passées et on s’est passablement ennuyé. Mais ça s’arrange un tout petit peu lorsque Jules s’aperçoit que, dès qu’il embrasse Nénette, il devient d’une force herculéenne (et davantage : il fait tout exploser, démantibule les autobus en se raccrochant à leur plate-forme arrière, renverse les voitures qui lui rentrent dedans, démolit sept ou huit colosses, etc.), d’une force qu’il puise donc dans les baisers de son amoureuse, un peu à la façon dont Astérix se dope à la potion magique. Est-ce que, par hasard René Goscinny aurait tiré son inspiration de là ?.
Quelques gags plus tard, ça s’essouffle à nouveau et on tire à la ligne. C’est fini, la salle se rallume. On rentre dans son deux-pièces au sixième sans ascenseur.
J’allais dire du bien de la distribution, évident plaisir pour qui aime les trognes d’acteurs de la période. Mais je ne peux pas passer sous silence la grotesque, ridicule, atterrante prestation du gugusse Jean Richard. Il semble que l’homme n’ait pas été un parfait imbécile, mais l’acteur, grasseyant, roulant des yeux, se désarticulant le col, fait honte. Et il fut pourtant à l’époque une certaine vedette, employée par Jean Renoir (dans Elena et les hommes) ou Marcello Pagliero (dans le rôle titre de Chéri-Bibi). Comment est-ce possible ?
Et comment me désintoxiquer ?