Drôle de réalisation que ce film tardif de Luis Bunuel, son pénultième avant Cet obscur objet du désir. Sans doute ne peut-on jamais rester vraiment indifférent devant un cinéaste totalement atypique, assez cinglé, assez cruel, assez intelligent pour faire apparaître des images impressionnantes dans n’importe quelle séquence. Mais là, on tire la ligne jusqu’au bout. Ou plutôt on revient aux origines surréalistes du réalisateur, ce goût provocant (et un peu vain) pour les billevesées du type Cadavre exquis, l’écriture automatique, les raccrochages singuliers d’une anecdote à une autre.
Sans doute cette manie vient-elle des romans picaresques espagnols qui s’ouvrent en abyme et où l’enchâssement les unes dans les autres des histoires est un procédé littéraire éprouvé. Ce n’est pas tout à fait ça dans Le fantôme de la liberté, mais ça procède d’un esprit analogue : on suit pendant quelques séquences un couple ou un groupe, qui rencontre, ou dont le destin croise un autre couple ou une personne, à qui on attache désormais ses pas, abandonnant les premiers venus.
Ça vaut ce que ça vaut ; on retrouve les obsessions sexuelles et anticléricales de Bunuel, bien mieux mises en valeur dans des films mieux maîtrisés et plus cohérents ; quelques scènes étonnantes ne font pas le printemps et on se lasse vite.
C’est dommage, dans un certain sens parce que la fine fleur des acteurs de l’époque, sans doute en hommage au vieux maître espagnol, a figuré dans le film et qu’on retrouve des tas de visages appréciés ; Jean Rochefort, donc un peu, mais aussi Jean-Claude Brialy, Monica Vitti, Michael Lonsdale, Paul Frankeur, Claude Pieplu, la trop rare Milena Vukotic et des tas d’autres…
Mieux vaut tout de même revoir Los Olvidados, La vie criminelle d’Archibald de la Cruz, Le journal d’une femme de chambre, Belle de jour et quelques autres…