Perplexité
J’ai beaucoup hésité à donner cette note de 4 ; une note intermédiaire un peu inférieure aurait mieux représenté mon jugement sur un film que je découvrais et qui m’a fait impression sans toute fois pleinement me séduire…
Qu’est-ce qui m’y agace ? Sans doute et principalement les deux interprètes principaux, Pierre Richard-Willm, bellâtre à la mode, très utilisé dans les années Trente et Quarante, et Marie Bell, que je n’ai jamais trouvée bonne que dans Carnet de bal, sans doute parce que le réalisateur, Duvivier savait imposer sa volonté à ses acteurs. Il est vrai que l’on a dit la même chose de Jacques Feyder, réalisateur de ce Grand jeu, donc.
Et pourtant, je trouve que les deux principaux protagonistes jouent faux et exalté : c’est qu’ils sont essentiellement des acteurs de théâtre (Richard-Willm abandonnera définitivement le cinéma après la Guerre, et Marie Bell n’y fera plus que quelques apparitions, guère concluantes) et que, quelques monstres sacrés mis à part (Raimu, Louis Jouvet, Charles Dullin), les comédiens sont rarement de bons acteurs (j’ai écrit ça déjà mille fois, notamment à propos de Gérard Philipe).
C’est embêtant que les personnages principaux ne soient pas crédibles, surtout lorsque les personnages secondaires sont, eux, remarquables : la toujours parfaite Françoise Rosay (femme de Feyder, soit dit en passant), en tenancière de maison au grand cœur et à la gouaille triste, Charles Vanel, époux d’icelle, en patron salace, avide et borné, Pierre Larquey, en vieux légionnaire râleur, et même Georges Pitoëff (encore un théâtreux) en ami fidèle, violent et russe.
Et l’intrigue est mélodramatique à souhait, de ces grands mélodrames ravageurs où sont réunis tous les ingrédients du genre : le fils de famille richissime et léger qui dilapide sa fortune pour une grue qui ne l’aime pas, son engagement dans la Légion étrangère en train de pacifier le Rif marocain, le pittoresque de ces histoires de soldats perdus (voir aussi l’admirable Gueule d’amour de Grémillon – où Gabin est spahi, et non légionnaire, mais se torture aussi pour une garce -)… Et puis aussi les putes au cœur immense, la fatalité de la chair, les bateaux qui partent et l’impossibilité de la belle amour.
Et puis deux grandes qualités techniques, particulièrement séduisantes : la musique de Hanns Eisler et les décors du grand Lazare Meerson…
Finalement, et en écrivant ce message, je me rends compte que mon 4 est justifié. Et que, le souvenir se décantant, ma note pourrait encore bien monter…