La vie, c’est la kémia de l’auberge espagnole…
Roger Hanin mort, comment la télévision aurait-elle pu ne pas présenter Le grand pardon ? Si je trouve qu’un meilleur hommage aurait pu être rendu à l’acteur avec Le coup de sirocco, plus sensible et plus intelligent, la mise en scène des gangsters de Constantine, leur jactance, leur outrance, leur violence est pourtant toujours aussi efficace…
La première demi-heure du Grand pardon, c’est-à-dire la réception donnée par Raymond Bettoun/Roger Hanin à l’occasion de la circoncision de son petit-fils est une vraie merveille. Alexandre Arcady capte avec beaucoup de verve, de tendresse, de gaieté, l’éclat de la fête, touchante, vulgaire, attachante, pleine de couleurs et de silhouettes : on a envie d’être là, invité par les Bettoun, dans cette propriété magnifique, au milieu de cette foule qui jacasse, danse, parle fort et haut, se querelle et s’embrasse ; on se sent un peu interloqué, amusé, effaré, stupéfait, séduit comme l’est Carole (Anny Duperey), le médecin de précaution, appelée au cas où le coup de ciseau du rabbin serait raté. On découvre un monde ; on n’est pas forcément certain qu’on en apprécie les excès, mais on en aime la chaleur.
Bettoun est un type très attachant, grand fauve vulgaire. Le malheur est que c’est un gangster aussi impitoyable que tous les gangsters que l’écran nous montre depuis toujours : un type cruel, sans pitié pour les boutiquiers qu’il rackette, pour les putes qu’il prostitue, pour les drogués qu’il gave de saloperies. Et l’autre malheur c’est que le réalisateur roule le spectateur avec l’habituelle habileté des cinéastes, spectateur qui ne voit pas trop ou, plutôt, qui a tendance à gommer que le héros bonhomme adoré de ses hommes et de son clan est un affreux salopard.
Mais bon, tout ceci fait partie du jeu… Passé l’introduction éclatante du film, Arcady nous balade dans un récit un peu tarabiscoté et terriblement convenu où les histoires d’amour impossibles – celle de Maurice/Richard Berry et de la magnifique Viviane/Clio Goldsmith (au fait, qu’est-elle devenue, cette beauté ?) – côtoient la guerre des gangs et ses coups fourrés de billards à trois bandes, où les alliés d’hier sont en fait les adversaires de demain, où les tueurs sadiques (Richard Bohringer étonnant) sont lâchés en pleine nature pour faire le maximum de dégâts, où le trône du chef est entouré de salopards (Azoulay/Jean-Pierre Bacri) ou de limaces (le chanteur-proxénète Ambrosi/Armand Mestral).
Ce salmigondis est assez épicé pour qu’on y prenne le plus grand plaisir et, à la dixième vision, Le grand pardon fait encore tout à fait impression et donne le plaisir qu’on éprouve à chausser de vieilles pantoufles chaudes.
Je l’ai tout de même revu avec mes lunettes d’aujourd’hui et dans l’atmosphère assez singulière de la France du début 2015, celle des attentats et des ressentiments. Et quelque chose m’a tout de même un peu gêné de ce communautarisme qui pouvait paraître en 1982, date de sortie du film comme un simple artifice, mais qui, maintenant, rend une drôle de musique.
Au fil des conversations et des rencontres, chacun demeurant maître sur son territoire, qui s’entend, s’accorde particulièrement bien ? Bettoun/Hanin, le chef du clan juif et Bouli/Malek Kateb, le chef du clan arabe ; ces deux-là sont du même pays, du même ciel ; comme le dirait (et le dit, d’ailleurs) le Commissaire Duché (Jean-Louis Trintignant), grand bourgeois précieux et cultivé, ils sentent l’huile. Et l’autre mauvais rôle du film, Pascal Villars (Bernard Giraudeau), lui aussi, c’est un Français de France, comme disaient les rapatriés de 1962 ; on apprend, à la toute fin, qu’il est homosexuel ce qui le revêtait, en 1982, d’une couche d’opprobre additionnelle.
Eh bien, finalement, je n’aime pas trop ce qu’Arcady n’a peut-être pas voulu dire, sans peut-être, s’en rendre compte, mais qui fait, en février 2015, curieuse malsaine impression.