Le juge et l’assassin

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Quand Tavernier veut trop  en faire !

J’ai du mal à juger sereinement ce film ! S’il s’arrêtait juste un peu après l’arrestation de l’assassin, de ce Joseph Bouvier violeur et éventreur de jeunes bergers et bergères, c’est assurément 6, et davantage que le film de Tavernier mériterait.

D’autant que j’aime beaucoup Tavernier qui, le premier, après les années terroristes de la Nouvelle vague, demanda aux grands Bost et Aurenche de reprendre du service, adapta Simenon, respecta assez le spectateur pour lui raconter des histoires.

J’aime beaucoup Tavernier, dont le personnage est attachant, plein de foucades et d’enthousiasmes, capable de quitter son camp pour mettre sous le nez de la gauche-caviar des évidences jusqu’alors pudiquement niées ou tues, comme dans L.627 ou Ça commence aujourd’hui.

Cela étant, en 1976, quand il tourne Le juge et l’assassin, il est en plein délire gauchiste post-soixante-huitard. Ca s’est vu beaucoup dans L’horloger de Saint-Paul, mais ce film là (très librement adapté de L’horloger d’Everton de Simenon) est parfaitement cohérent, dans la ligne d’œuvres encore plus militantes, mais où le propos n’est pas emporté par la volonté démonstrative. Avec Que la fête commence, c’est aussi du pain bénit, même si l’on est encore à soixante-dix ans de la Révolution…

Dans Le juge et l’assassin, au fur et à mesure que le film s’avance et se rapproche de sa fin, on quitte la terrible histoire d’un malade mental – qu’un magistrat acharné de respectabilité, et attaché à sa propre logique jusqu’à en devenir lui-même fou, conduit à l’échafaud – pour une sorte de dénonciation d’un climat de l’époque. Et là on mêle allègrement Commune de 1870 et affaire Dreyfus, où, sur les pierres sèches des villages d’Ardèche sont placardées des affiches de propagande antisémite de La Croix (attention ! ces affiches existaient et ont sûrement recouvrir les murs des grandes villes !) où des graffitis appellent à massacrer Dreyfus… Alors que des ouvriers occupent leurs usines, la gendarmerie les met en joue à travers les grilles, et où tous les ouvriers ardéchois – dont la plupart, en 1894, parlaient patois, entonnent un chant de lutte (magnifique, d’ailleurs) communard, avec, en figure emblématique, parmi eux, Vierge Rouge à la Rosa Luxemburg, l’ancienne maîtresse du juge.

J’aime trop ce film pour ne pas regretter que Tavernier se soit laissé emporter ; que c’est dommage ! La distribution est magnifique, émouvante, formidable. Michel Galabru trouve là le rôle de sa vie, montrant qu’il aurait pu être un immense acteur ; Noiret n’est plus à louer, non plus qu’Isabelle Huppert ou Jean-Claude Brialy, décadent et désespéré. Et Jean-Roger Caussimon dont les talents d’acteur et de chanteur sont à l’unisson, y campe une magnifique silhouette de barde..

J’ai mis 4 ; il faudrait créer une note spéciale qui permette de dire à la fois son admiration et ses regrets.

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