Creusant le fond de la piscine…
Je ne suis pas loin de penser que Jean-Louis Trintignant est l’acteur de notre temps (il n’a pas encore 90 ans) qui a tourné le plus grand nombre de films de haut niveau, ou significatifs avec des réalisateurs très différents, dans une palette de rôles extraordinairement variés. Depuis Et Dieu…créa la femme de Roger Vadim en 1956 jusqu’à Amour de Michael Haneke en 2012, son visage, sa présence, sa voix, son talent ont rayonné sur le cinéma européen. Quelques titres, alors qu’il y en a tant et qu’on pourrait presque tout citer ? La plus intense des comédies italiennes, Le fanfaron de Dino Risi en 1962, le succès international (immérité) de Un homme et une femme de Claude Lelouch en 1966, le vengeur muet du Grand silence de Sergio Corbucci en 1968, le juge d’instruction de Z de Costa-Gavras en 1969 et, la même année, l’ingénieur catholique de Ma nuit chez Maud d’Éric Rohmer… En voulez-vous encore ? Le doux boutiquier perdu dans l’Exode de 1940 dans Le train de Pierre Granier-Deferre en 1973, le petit employé de banque qui devient séducteur dans Le mouton enragé de Michel Deville en 1974, le bandit cruel Émile Buisson dans Flic story de Jacques Deray en 1975…
Le requin de finances Bannister dans La banquière de Francis Girod en 1980 et la même année le scénariste en mal d’inspiration de La terrasse d’Ettore Scola, l’agent immobilier de Vivement dimanche ! de François Truffaut en 1983… De longs espaces avant de retrouver des rôles majeurs : le juge de Trois couleurs : rouge de Krzysztof Kieslowski et l’escroc Marx dans Regarde les hommes tomber de Jacques Audiard en 1994. Long silence et retour extraordinaire dans ce rôle de Georges, professeur de musique qui voit sa femme s’enfoncer dans la nuit du glaçant Amour, donc. On conviendra que c’est là une carrière exceptionnelle ; et je n’ai pas tout cité, loin de là.
Au milieu de tous ces rôles, deux objets singuliers : des films que Trintignant, diplômé de l’IDHEC, a réalisé lui-même : d’abord, en 1973, l’assez drolatique Journée bien remplie qui vaut essentiellement par la composition impeccable de Jacques Dufilho au service d’une finalement assez banale histoire d’élimination successive de quidams par un vengeur taciturne. Et puis en 1979, ce Maître-nageur que je n’avais jamais vu et dont on me chantait merveilles depuis lors. Et la jaquette du DVD, qui vante un petit bijou d’humour noir et cite des critiques mirifiques de L’Express(dérision et ironie glacée, bain révélateur et décapant) ou de Télérama (scènes cocasses et insolites, intrigant surtout par son humour noir) me prédisposait à la confiance.
La déception que j’ai ressentie est à la mesure de la catastrophe que j’ai vue. Je ne suis pas opposé par principe au burlesque, au farfelu, à ce qui n’a ni queue, ni tête. Encore faut-il réussir cet exercice d’équilibrisme compliqué qui fait à tout moment tutoyer l’obstacle. Dans le genre, il me semble qu’il faut plutôt en faire davantage que pas assez, qu’il faut bourrer le propos jusqu’à le faire éclater, aux risques et périls du film, d’ailleurs. Mais Le maître-nageur est aussi vide que l’est souvent la piscine, principal théâtre des opérations et aussi dépourvu de talent que l’est, dans le rôle du milliardaire excentrique Achille Zopoulos, Moustache, sans doute bon batteur de jazz et fêtard agréable, qui faisait ici et là quelques piges au cinéma mais ne pouvait pas être autre chose qu’une grasse silhouette à fortes bacchantes.
L’intrigue, pourtant, ne partait pas trop mal : gentille jolie fille d’immigrés italiens, Marie (Stefania Sandrelli) est une sorte d’Amélie Poulain avant la lettre, dont les rêves ont la caractéristique de se réaliser ; elle épouse par amour Marcel (Guy Marchand), brave type chanteur de charme pour kermesses et supermarchés. Mais Marie aime aussi l’argent et la bonne vie : elle parvient, en poussant son nigaud de mari, à le faire engager comme maître-nageur par le multimilliardaire Zopoulos, dont le secrétaire particulier, majordome, régisseur, secrétaire particulier est l’intrigant cauteleux Logan (Jean-Claude Brialy).
Ça commence à patauger très vite, parce que il n’y a plus rien à dire, plus rien à montrer et ça s’englue complétement au moment où ça devrait repartir : l’organisation d’un marathon nautique dans la piscine dont le vainqueur recevra 2000 $. Mais ce n’est pas du tout un On achève bien les chevaux dans l’eau : ce n’est rien, ça paraît interminable, alors que le film ne dure que 87 minutes, dont au moins 60 sont d’un ennui profond.
Ça n’a eu aucun succès, ce qui n’est pas grave ; mais ça met une petite ombre sur l’immense carrière de Jean-Louis Trintignant.