Je n’imagine pas qu’on puisse ne pas apprécier le jeu de Michel Bouquet, qui va gaillardement sur les 90 ans qu’il atteindra (on l’espère) en novembre prochain. Mais, comme Louis Jouvet, c’est un homme de théâtre, acceptant, pour vivre ou pour produire (ou pour je ne sais quoi) des rôles dans des films qu’il peut marquer ineffaçablement, mais ne se sentant vraiment chez lui que sur les planches. Vieux débat et vieille incertitude ; au moins, comme Jouvet mais au contraire de Luchini (dont on attend toujours qu’il tourne un grand film !) aura-t-il laissé sa trace sur l’écran (par exemple dans La femme infidèle, qui est peut-être le meilleur des Chabrol, en 1968 ou dans Le promeneur du Champ de Mars de Robert Guédiguian où il campe, en 2004, un étonnant Président Mitterrand).
Et le reste du temps, et là où il se plaît, c’est le théâtre. Je sais bien que, pour un comédien, tenir une salle, l’entendre respirer, la suspendre à son phrasé, c’est autrement plus grisant que de subir les impératifs du cinéma, les caprices du réalisateur, les attentes interminables, les prises refaites vingt fois. Je sais aussi que la soirée au théâtre, aujourd’hui en tout cas, c’est une sortie plus excitante que celle qu’on fait au cinéma : l’achat des billets, qui est presque une aventure, la belle robe qu’on sort pour l’occasion, le souper après le spectacle… Je ne dis pas que ça n’est que ça, mais si vous supprimiez cela, vous auriez bien la moitié des spectateurs en moins.
Pour apprécier comme il se doit ce Malade imaginaire mis en scène par Georges Werler à la Porte Saint Martin, il faut à la fois aimer Michel Bouquet et le théâtre. Et ma note médiane essaye de faire la distinction entre l’admiration que j’ai pour l’immense acteur et l’ennui profond que je ressens pour la scène, statique et artificielle. D’autant que le Malade imaginaire n’est pas, loin de là, du meilleur Molière.
On essayait, jadis, de faire rire les enfants que nous étions en leur serinant que les pauvres gags des Fourberies de Scapin étaient d’une extrême drôlerie (Géronte caché dans un sac et roué de coups) ou de Tartuffe (Orgon dissimulé sous la table et découvrant ainsi la traîtrise du dévot) étaient d’une extrême drôlerie. Mieux aurait valu attendre quelques années et aborder d’emblée Le misanthrope ou, davantage encore, Dom Juan. Au fait, dira-t-on jamais assez combien était magnifique l’adaptation télévisée de Marcel Blüwal en 1965 avec Michel Piccoli dans le rôle-titre ? Voilà qui était du théâtre qui ne négligeait pas la liberté du cinéma !
Ce n’est pas le cas du Malade imaginaire, filmé comme on filmait jadis les pièces de boulevard de Au théâtre ce soir : frontalement, avec quelques gros plans, mais un minimum de mouvements de caméra, dans un décor unique. Michel Bouquet y est triomphal, jouisseur de la scène, en harmonie totale avec le spectacle. La jolie Julie De Bona est une très gracieuse Angélique, fille de l’hypocondre et tire brillamment son épingle du jeu. Mais le reste de la distribution n’est pas satisfaisant, en premier lieu Juliette Carré, femme de Bouquet à la ville, qui interprète la servante Toinette dont le rôle est certes fort en gueule mais qui roucoule et glapit à qui mieux mieux et avec trop d’excès pour ne pas lasser…
Bon ; c’est du théâtre : faut pas trop en demander…