Visite en Moldavie
Le masque du Démon vu et tellement apprécié à sa sortie en France de si forte façon, et si souvent revu depuis que ses insuffisances m’apparaissaient mal, surtout au regard de ce que les réalisateurs modernes ont pu et peuvent produire pour nous filer les chocottes reste pourtant un film passionnant. Voilà incontestablement un des piliers du cinéma de genre, un de ces films qui ont ancré l’intérêt de beaucoup de spectateurs dans ce genre, précisément et qui en ont préparé la riche postérité. Le cinéma de la compagnie Hammer, Outre-Manche n’était pas le seul à proposer à nos yeux horrifiés tortures, profanations, sadisme et horreurs diverses : aux États-Unis Herschell Gordon Lewis, Roger Corman ou en Italie Mario Caiano, Antonio Margheriti, Riccardo Freda et surtout Mario Bava donnaient des cauchemars à nos nuits fiévreuses.
Le masque du démon a bien d’autres mérites que son très beau titre. Dès le pré-générique le spectateur entre dans une atmosphère angoissante, nocturne, sombre, illuminée à peine par la lueur des torches et des brasiers. Torches et brasiers qui éclairent à grand mal la scène où, au 17ème siècle, la princesse Asa Vajda (Barbara Steele) et son amant, créature de l’Enfer, Igor Javutich (Arturo Dominici) sont conduits à leurs bûchers après que leur a été plaqué sur le visage le masque du démon hérissé, à son intérieur, de pointes de fer. Tout y est : arbres dénudés, atmosphère glacée clairière sombre, nuit profonde, chevalets, pénitents et bourreaux encapuchonnés, feux ardents, fers portés au rouge pour marquer à jamais le corps des démoniaques. Mais un orage terrifiant a empêché que les deux amants maléfiques soient consumés.
Et c’est naturellement que, deux cents ans plus tard, le sceptique professeur Kruvajan (Andrea Checchi) et son élève et assistant Andrei Gorobek (John Richardson), qui doivent participer à un Congrès scientifique échouent, à la suite d’un accident survenu à leur berline, à proximité des lieux maudits de jadis. Leur curiosité, leur maladresse et on ne sait quelle malfaisance intrinsèque qui rôde dans la contrée et qui jette sur le professeur Kruvajan une chauve-souris agressive font que la sorcière Asa est éveillée du long sommeil haineux dans quoi elle était confinée et après quelques abominables péripéties fait mêmement revenir à l’existence son amant démoniaque Igor.
Évidemment la mort et l’Enfer vont essayer de prendre leur revanche sur les lointains descendants de la famille d’Asa, (dont sa réincarnation physique, Katia, incarnée par la même Barbara Steele) qui vivent toujours dans l’austère et arrogant château ancestral, proche du cimetière des suppliciés et bâti sur une série de caves et de cryptes dissimulées, bardées de grilles massives voilées de toiles d’araignées. Et tout cela, naturellement au milieu de bois et de forêts profonds, hérissés de broussailles inhospitalières, de mares glacées, d’arbres aux racines torturées.
Tout cela est bel et bon et constitue le meilleur du film, même si, de temps en temps les décors du château sentent un peu le carton-pâte. Mais le jeu des personnages est stéréotypé, souvent ridicule, et leurs entrecroisements font quelquefois penser aux pires vaudevilles quand l’amant sort par la fenêtre au moment même où le mari entre par la porte ; l’intrigue n’a pas la richesse que Bram Stoker a fourni aux scénaristes de la Hammer qui n’eurent qu’à puiser dans son superbe ouvrage de 1897 pour trouver la matière du Cauchemar de Dracula ; je ne suis pas persuadé, non plus, que Barbara Steele, icône révérée d’une palanquée de films de qualité diverse, puisse fasciner, de ses yeux exorbités (d’aucuns diraient globuleux) des spectateurs d’aujourd’hui.
Et pourtant je continue à prendre un plaisir extrême et à revoir souvent ce Masque du Démon, du fait de quelques scènes admirablement photographiées (le supplice, la course de la diligence) et de l’efficacité maximale de Bava, qui possède un vrai sens du rythme cinématographique et de bien belles idées de mise en scène…