Le narcisse noir

So british !

Comment se fait-il qu’on puisse avoir un tel talent de prise de vue, utiliser une photographie aussi somptueuse, réaliser un film dont bon nombre d’images sont aussi magnifiques et les apposer sur des personnages aussi creux et une histoire aussi simpliste ?

En deçà du fameux Colonel Blimp, à qui j’avais trouvé assez de mérites pour lui donner un 4 qui est au dessus de la moyenne, je n’ai pas pour Le narcisse noir plus d’intérêt que pour Les chaussons rouges : les mondes décrits me paraissent totalement artificiels et complètement dénués d’épaisseur et les scénarios me semblent d’un baroque excentrique, à la limite du burlesque, voire du grotesque (limite quelquefois inférieure – les comportements de la servante-concierge Ayah – May Hallatt). On a l’impression que les religieuses ne savent pas ce qu’elles font sur ces terres désolées de l’Himalaya, que les Hindous errent comme des yacks ahuris sur le toit du monde, et que Mr. Dean (David Farrar) – homme d’affaire ? régisseur ? factotum ? de qui et de quoi ? – signe une publicité pour un magazine culturiste des années Cinquante.

Il n’y a pas la moindre goutte d’émotion, de sensibilité, de gaité ou de tristesse ; il y a des images magnifiquement léchées, tellement bien léchées, d’ailleurs, avec leurs à-pics vertigineux et leur côté de carte postale touristique, qu’elles finissent par ne plus susciter que l’ennui poli qu’on ressent devant les documentaires de Connaissance du Monde ; il y a une perpétuelle recherche de l’image rare, composée, raffinée au delà du raisonnable et qui sonne creux, tant on n’arrive pas une seule seconde à s’intéresser aux états d’âme de personnages en carton peint.

J’exagère : il y a une fort jolie scène, assez sensuelle et bien venue, celle où la petite gourgandine Kanchi (Jean Simmons), au sourire qui devrait bien damner le Saint Homme qui prend racine, tel le lotus odoriférant, au beau milieu de la propriété, celle où la drôlesse, donc, engage une danse rituelle au demeurant bien courte ; mais ça ne vaut tout de même pas, loin de là, les voluptés données par Debra Paget dans Le tigre du Bengale et Le tombeau hindou.

Le narcisse noir, s’il ne prétendait être autre chose qu’un roman-photo à situations mélodramatiques et n’envisageait de se hausser ainsi du col pourrait apparaître comme une de ces raretés un peu désuètes du cinéma britannique d’antan. L’Himalaya, l’Inde fascinante, les nonnes et les précipices qu’elles côtoient au propre comme au figuré, le bel aventurier au cœur sensible et à l’apparence brutale (curieusement juché assez souvent sur un poney tressautant qui le rend parfaitement ridicule, et en tout cas lui ôte tout caractère vénéneux), le combat de deux femmes, dont l’une renonce à sa vocation, pour l’amour du Mâle dominant, et la mort atroce de la vilaine, le départ résigné sous la pluie de mousson qui éclate pile-poil comme il fallait, tout cela fait partie des ingrédients des romans à l’eau de rose dont raffolent nos amis d’Outre-Manche.

Mais de là à lui donner tant d’importance ! Bon ; il me reste à voir 49e parallèle qui est le quatrième et dernier film du coffret que j’ai hérité. Après quoi je prendrai congé, sans doute définitivement, avec ce farceur de Michael Powell.

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