Pleurs de femme et pluie d’été ne durent pas longtemps
Je célèbre le début du film, ces images déprimantes de la côte varoise sous le ciel uniformément gris, sous la pluie drue et les quelques séquences qui suivent immédiatement ; il est vrai que rien n’est plus triste que ce paysage fait pour le soleil qui subit le crachin qu’on réserverait volontiers aux terres océanes et qu’il n’y a rien de plus désolant que de considérer ainsi agaves et pins parasols. C’est donc une très bonne entrée en matière : on ne sait pas trop à quel moment de l’année on se situe, sans doute au début d’un printemps pourri ; il n’y a pas l’ombre d’un touriste égaré et les bourgades faites pour les visiteurs de l’été sonnent creux sous le rythme agaçant de l’ondée.
Mais pas davantage que la pluie ne durera, le film ne tiendra ses promesses, essentiellement du fait de la toujours extrême complication des intrigues conçues par Sébastien Japrisot, fumeuses, fuligineuses, improbables, trop pleines de marqueteries sophistiquées pour être convaincantes (mais j’ai déjà dû dire dix fois, à dix occasions, mon sentiment là-dessus). Qu’il y ait dans Le passager de la pluie tout ce qui est spécifiquement japrisotien (les traumatismes de l’enfance, l’ambiguïté du méchant qui est en fait un ami, l’atmosphère souvent onirique, les dialogues décalés) ne me prédispose pas à la bienveillance tellement je trouve ça artificiel et généralement mal fichu. Et je m’étonne que René Clément qui ne semblait pas, du moins à ses débuts, aller dans le sens de cet excessif romanesque soit tombé, pour ses dernières réalisations dans ce panneau.
Que signifie, par exemple cette visite de la gentille Mélie (Marlène Jobert) dans la maison de rendez-vous parisienne de qualité supérieure ? Elle nous permet de voir, ce dont on est toujours ravi, Corinne Marchand en maîtresse des lieux, Jean Piat (il est vrai peu convaincant en l’espèce) en trafiquant de haut vol d’on ne sait quoi et la si belle Marika Green dans le tout petit rôle d’une hôtesse ou camériste parfaitement stylée pour la clientèle raffinée de la maison, mais c’est bien tout.
Ce qui a sans doute valu au film un réel succès, outre le titre, de qualité et inquiétant à souhait, c’est le jeu des acteurs, particulièrement bien distribués au demeurant ; je renie, au fait, tout ce que j’ai pu dire et écrire de désagréable ou de condescendant sur les qualités de Marlène Jobert, qui donne à son personnage à la fois une grande fragilité à la limite de l’idiotie et une grande capacité de séduction charnelle ; j’ai désormais bien compris que l’histoire est aussi celle de la transformation d’une adolescente retardée en femme enfin adulte : le rôle est affreusement caricatural et déséquilibré mais si on pousse la bienveillance à faire semblant d’y croire un peu, on doit honnêtement reconnaître que l’actrice l’interprète brillamment. Et cela même si – j’y reviens ! – ça part dans tous les sens. Je persiste à dire que je trouve Annie Cordy, très loin de ses gugusseries chantées, tout à fait excellente dans son personnage de femme amère, infidèle et alcoolique.
Mais la meilleure trouvaille, c’est tout de même Charles Bronson, félin, narquois, qu’on sent terriblement dangereux, dont le jeu est à la fois tout contenu et tout explosif ; on peut bien se demander pourquoi il trimballe dans cette station vide de la côte varoise, alors qu’il est en mission secrète, son uniforme de colonel étasunien et pourquoi il écrit ses rapports sur papier à en-tête de l’Ambassade, mais si on se laisse fasciner par le caractère primitif, instinctif, immédiat de l’acteur on en a pour son content…
Dommage que la musique de Francis Lai soit si mièvre et que, funeste concession aux exigences de la coproduction, le rôle du mari soit tenu par le bien fade Gabriele Tinti, dont la carrière entre le péplum et le porno-soft n’a pas laissé d’autres traces concluantes…