Drôle d’endroit pour une rencontre.
Si le film n’était celui où se sont rencontrés, découvert, aimés un couple, légende vivante du cinéma, Humphrey Bogart et Lauren Bacall, qu’en resterait-il ? Le supplément du DVD indique que Howard Hawks avait fait avec Ernest Hemingway une sorte de pari, celui d’adapter ce qu’il considérait son plus mauvais roman, En avoir ou pas. Et de fait, et malgré la transposition de l’intrigue, qui abandonne Cuba et des clandestins chinois pour la Martinique et des résistants français, l’histoire est d’une grande insignifiance et se traîne sans jamais accrocher.
Il est vrai aussi que Hawks avait confié l’adaptation du roman à un de ses scénaristes préférés, William Faulkner, avec qui il travaillerait encore pour Le grand sommeil et La terre des pharaons. Faulkner, vivant ce travail alimentaire de scénariste comme un pensum, détestait ce genre de boulot. Moins accessible, moins facile à lire que son contemporain, il jalousait son succès, ses multiples adaptations cinématographiques (L’adieu aux armes, Pour qui sonne le glas ; plus tard Les neiges du Kilimandjaro, Le soleil se lève aussi, Le vieil homme et la mer), alors même qu’aucun de ses romans n’a jamais été adapté avec succès à l’écran (il paraît que Le bruit et la fureur est une véritable catastrophe). Seule satisfaction : avoir devancé de cinq ans Hemingway pour le Prix Nobel – 1949/1954). Faulkner qui méprisait, tout en le jalousant, le succès d’Hemingway a dû ressentir une méchante volupté à adapter un récit aussi médiocre.
Ce qui n’empêche pas le film de demeurer important dans l’histoire du cinéma grâce à ce couple enchanté qui, visiblement, s’émerveille de s’être rencontré et qui, dans toutes les scènes, parvient presque à faire partager son bonheur. Toutes les séquences qui réunit le couple des amants magnifiques parviennent à effacer la bêtise – l’insignifiance, plutôt – de l’histoire et à séduire par sa propre dynamique. Lauren Bacall, dont le regard est magnifiquement mis en valeur par une photographie qui n’abandonne jamais sa prodigieuse attractivité, entre d’emblée dans la légende d’Hollywood. Une des cordes de son arc que je ne connaissais pas : la voix ; et les séquences chantées où elles donne la réplique au crooner Hoagy Carmichael sont parmi les plus réussies du film (au fait, sa voix, grave et narquoise me fait songer à celle de Françoise Dorléac, si acide ; et ce n’est pas, de ma part, un mince hommage).
On s’amuse à voir Fort-de-France représentée par les Etasuniens (et on s’amuse encore davantage à entendre, au fil des dialogues, en langue anglaise, des interjections en français), on se réjouit de revoir Marcel Dalio, on admire la qualité et la sobriété du jeu de Bogart. Et on attend avec gourmandise que Bacall dise à Bogart une des plus célèbres répliques de l’histoire du cinéma : Si vous avez besoin de moi, vous n’avez qu’à siffler. Vous savez siffler, Steve ? Vous rapprochez vos lèvres comme ça et vous soufflez !.
Pas mal, tout de même, quoique un peu verbeux.