Le Roi de cœur

Étrange burlesque.

L’enthousiasme de certains amateurs pour  Le Roi de cœur me stupéfait. Là où on a vu fantaisie, poésie, légèreté, magie, je n’ai trouvé que bric-à-brac idiot, ennui profond, inanité du récit et des personnages ; je n’ai de crédit que pour quelques belles images de la belle ville de Sentis et pour les thèmes musicaux de Georges Delerue. Comment se fait-il que mon point de vue, si souvent analogue à certains que j’estime soit ici tellement différent ?

D’autant que j’apprécie habituellement beaucoup le cinéma de Philippe de Broca, lui accordant même quelques films à la limite du chef-d’œuvre : par exemple, évidemment L’homme de Rio, mais aussi L’incorrigible ou Le cavaleur ; et Le diable par la queue n’est pas mal non plus. Tout cela est pétillant, cavalcadant, spirituel, tout à fait dans le goût français. Il est vrai aussi que le réalisateur est coupable de quelques daubes retentissantes, comme Les tribulations d’un Chinois en ChineTendre poulet ou sa très mauvaise version de Vipère au poing. Mais dans l’ensemble, c’est plutôt réussi.

Et puis la distribution du Roi de cœur est étincelante : Broca a entraîné dans son aventure farfelue à peu près tout ce qui se faisait de mieux dans le cinéma français de l’époque ; à l’exception des monstres sacrés et des poids lourds (Jean GabinLino VenturaAlain Delon) il ne manque pas grand monde ; je gage que Jean-Paul Belmondo, acteur habituel du réalisateur devait avoir d’autres engagements à l’époque du tournage, car il n’aurait pas déparé dans le capharnaüm.

En aurait-il sauvé la substance, à mes yeux ? Je ne crois pas. Ma comparaison vaudra ce qu’elle vaut et pourra paraître hors de propos et même triviale : le film est, pour moi, une mayonnaise qui ne prend pas. Tous les ingrédients y sont et à bonne température et de belle fraîcheur ; celui qui manie le fouet a la main habile, l’expérience et le talent. Mais quelques minutes après qu’elle a commencé à prendre, l’émulsion se délite et il est impossible de la rattraper, comme l’on dit.

On a excellemment conté les fondements du récit : à la fin de la Guerre, les Allemands s’apprêtent à quitter une belle bourgade de l’est de la France en y enfouissant une grande quantité d’explosifs censés détruire la bourgade quand, à minuit, les Britanniques la délivreront. Terrorisés, les habitants ont fui, laissant rues et places à la fantaisie des pensionnaires de l’asile d’aliénés qui s’en sont échappés.

On voit bien l’esprit : à côté de la sauvagerie des combattants et des horreurs de la guerre, voici des fous qui sont des sages. Pour facile et presque banale qu’elle est, la parabole ne manque pas de qualité et peut être développée de façon brillante et pertinente : ridicule des uns, gaieté des autres. Les fous se jouent la comédie sociale en riant, en ne la prenant pas au sérieux. Au fait sont-ils dupes de leur jeu ? Les fous sont-ils vraiment fous ?

Ben voilà ; peut-être, à la réflexion, puis-je me dire que ce qui n’a pas accroché avec moi dans Le Roi de cœurc’est la nécessité de faire cohabiter cette réflexion humaniste (plutôt intéressante, ou, en tout cas, capable, susceptible de provoquer la réflexion) et une intrigue qui ahane, semble fuligineuse et artificielle ?

Va savoir ! Déception de n’avoir pas aimé autant qu’ils le méritent Pierre Brasseur, Jean-Claude Brialy, Micheline Presle, Françoise Christophe, Geneviève Bujold… et les autres.

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