Le roi des camelots

Il était une fois Paris.

Ah, cher Berthomieu qui tourniez n’importe quoi, avec gaieté, légèreté, tranquillité et qui nourrissiez les salles du samedi soir avec un paquet de films où – selon l’expression archaïque et consacrée – on ne se cassait pas la nénette, merci d’avoir donné ce bien gentil Roi des camelots où on vous retrouve tout entier, où on retrouve tout entiers des gens de grand talent, Robert Lamoureux étincelant bien sûr, et Yves Deniaud mais aussi un acteur qui n’a sans doute jamais trouvé une meilleure exposition à l’écran ; vous vous demandez qui ? Mais Charles Bouillaud bien sûr, qui vous fera vous interroger mais que, en regardant son visage, vous retrouverez la silhouette… Bouillaud a bien dû apparaître dans 150 ou 200 films, quelquefois pour quelques secondes ; je ne peux imaginer ce qu’a été sa vie, sans doute parcimonieuse, à courir le cachet.

N’empêche que dans Le roi des camelots, il a un rôle ; un second rôle. bien sûr, mais un rôle tout de même ! Quel bonheur de voir cet excellent serviteur du cinéma être un peu plus identifié ! Un Gardien de la paix qui, comme en étaient beaucoup, est le mari de la concierge de l’immeuble de Belleville où l’intrigue se noue… Je ne dis pas que la cour de cette maison possède la même force, la même identité que celle du Crime de monsieur Lange de Jean Renoir en 1936, ni même de Corps à cœur de Paul Vecchiali en 1978, mais enfin elle représente assez bien ce que pouvait être la vie du Paris populaire d’il y a 75 ans en 1951…Au fait, le titre du film ne doit dire grand-chose à ceux qui aujourd’hui ont moins de quarante ans : ces bateleurs gueulards, talentueux, sympathiques ne se rencontrent plus – et encore ! – qu’à la Foire de Paris où grâce à leur brio, leur bagout, leur talent d’improvisation, ils parviennent à retenir l’attention des badauds en leur vantant les effets d’une crème miraculeuse, d’engins stupéfiants qui permettront de nettoyer parquets et vitrages sans effort, d’ustensiles de cuisine sensationnellement voués à réaliser des repas de rois et bien d’autres choses permettant de réaliser des économies magnifiques.

Il y a encore quelques années on pouvait voir, sur les marché de province et sur le trottoir des grands magasins parisiens ces bonimenteurs qui émerveillaient les ménagères et les enfants qui les accompagnaient, en leur promettant de leur faire découvrir des plaisirs sublimes ; c’était assez rigolo, parce que les types avaient du talent, une façon de captiver leur auditoire, de la fasciner à un tel point que, même sans en être absolument dupe, on achetait pour trois francs, six sous un machin dont on n’avait aucun besoin et qui demeurerait bien rangé au fond d’un placard ; mais enfin, on s’était donné une certaine forme de plaisir. Une sociabilité sans agressivité : des Français qui parlaient aux Français, même de façon goguenarde, et n’étaient pas agressés par des gens venus de n’importe où qui ne comprennent pas notre esprit gallo-romain.

Le jeune Robert (Lamoureux, évidemment), qui a perdu ses parents pendant la guerre et n’a pas pu poursuivre les études de Droit qu’il ait engagées, survit d’à peu près n’importe quoi : tour à tour homme-sandwich, distributeur de tracts publicitaires aux côtés de son pote de parcimonie La globule (Jean Carmet); il erre des Grands Boulevards à Belleville sans savoir où dormir ou dîner ; il est tenté de piquer un portefeuille qui s’offre à lui, dans une groupe happé par la faconde du camelot Raymond (Yves Deniaud), vieux roublard et brave homme qui lui sauve la mise et, touché de sympathie, lui donne vivre et couvert et surtout entreprend de lui confier les meilleurs trucs qui lui permettront de gagner honnêtement sa vie en vendant en plein air tout et n’importe quoi.

On devine bien vite que le jeune blanc-bec se révèlera le plus doué des élèves de son mentor et qu’il engagera une grande carrière qui le conduira jusqu’à une situation très confortable au service d’un Consortium industriel ravi de voir ses produits écoulés à grande allure dans les rues de Paris.Se mêleront à ça les inévitables aventures sentimentales avec la prétentieuse Yvette (Lysiane Rey) ou la charmante Françoise (Colette Ripert) et l’intervention d’un salopard Léo (Robert Berri) demi-sel jaloux et fainéant qui voudra faire capoter cette belle ascension sociale. Il est inutile que je raconte dans le détail un film qui n’existe et séduit que par cette prise de vue de notre France parisienne de 1951, avec ses bonnes bouilles d’enfants espiègles, ses bistrots chaleureux, ses policiers compréhensifs et tant et tant d’autres choses qui n’avaient pas encore été remplacées.

 

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