Allégresse, rythme et fantaisie…
On connaît depuis longtemps (en fait depuis L’homme de Rio) la recette pour réaliser une comédie allègre à la française (moins acide, moins drôle mais plus gaie que sa sœur à l’italienne) : partir à 100 à l’heure, ne freiner que dans les courbes vraiment dangereuses et accélérer jusqu’au bout. Quant c’est réussi, ça donne de petits bijoux, comme le diptyque Un éléphant, ça trompe énormément/Nous irons tous au paradis, César et Rosalie et comme ici Le sauvage. Il faut dire que dans ces deux cas, le scénariste aux manettes, c’est le délicieux, tendre, intelligent Jean-Loup Dabadie. (Et à la réflexion je me dis que si c’est moins méchant et cruel que dans la comédie à l’italienne, ça laisse tout de même, ici et là parsemées, quelques gouttes d’amertume).
Le sauvage est un film virevoltant, gai, spirituel, qui ne s’arrête jamais, dont le scénario, invraisemblable et fantaisiste est pour autant absolument parfait dans son funambulisme. Il faut prendre le film presque comme un conte de fées, qui voit deux êtres que rien, absolument rien ne devait rapprocher, qui, durant un bon moment, demeurent sur deux lignes parallèles, sans se regarder ni se désirer et qui pourtant, quand ils se jettent dans les bras l’un de l’autre prennent toutes les couleurs de l’évidence.
Le déroulement de l’histoire est très habilement amené et s’enrichit au fur et à mesure de sa progression : on ne saura qu’après la moitié du film qui est Martin (Yves Montand), quel trésor vivant il représente pour la multinationale de cosmétiques dont sa femme (Dana Wynter) est propriétaire et comment il est épié, surveillé, contrôlé tel le Jim Carrey du Truman show. Et les dernières séquences avec leurs retournements, sont très bien amenées et très bien conduites. C’est souvent ce qui est un peu ardu, dans ce genre de films : partir d’une situation en soi amusante et la développer jusqu’au bout en greffant des péripéties bien adaptées, compatibles avec l’esprit du scénario, relançant sans cesse l’attention.
Le tour de force du Sauvage c’est de parvenir à cette qualité alors qu’une bonne moitié du film est jouée par deux uniques personnages, tous les autres étant périphériques et n’intervenant qu’au début et à la fin. Cela dit, mention spéciale pour Luigi Vannucchi, qui interprète avec un grand talent le personnage de Vittorio, le fiancé (puis mari) hystérique, colérique, fou furieux, rageur, vulgaire, rastaquouère vibrionnant.
Mais forcément le film repose sur les épaules des deux étoiles, Yves Montand au sommet de son talent, tour à tour effaré, stupéfait, navré, décontenancé, amoureux et surtout Catherine Deneuve, dont l’entrain, la fougue, le brio rappellent ceux de sa sœur, l’immortelle Françoise Dorléac dans L’homme de Rio. Crispante, agaçante, exaspérante, séduisante, délicieuse…
En plus, édition parfaite (Canal+ Contemporain) avec une longue et délicieuse interviouve de Rappeneau sur la genèse et les circonstances de tournage du film.
Vraiment, un moment de bonheur…