Le secret derrière la porte

le_secret_derriere_la_porte_2Damnée psychanalyse !

Moindre connaisseur de l’œuvre de Fritz Lang que bon nombre de critiques et de cinéphages,  je les rejoins sans beaucoup de réserves dans leurs messages un peu déçus sur ce film.

Bien sûr, les images sont admirablement composées, le Noir et Blanc extrêmement décoratif (je m’aperçois que l’adjectif peut apparaître réducteur : en fait, le Noir et Blanc est aussi beau que le seront quelques années plus tard les couleurs des Contrebandiers de Moonfleet), et surtout la caméra virevolte, vole, change la perception de l’espace avec une élégance extrême ; il n’y a, à mes yeux, qu’avec Max Ophuls que cela peut se comparer (et il faudrait, d’ailleurs se demander si les deux réalisateurs, tous deux pénétrés de l’intelligence de Vienne, jadis capitale bouillonnante d’un monde civilisé n’ont pas, consciemment ou non, incorporé sa valse brillante dans leurs mouvements).

Bien sûr, Joan Bennett est d’une grande beauté, et d’une subtilité de jeu extraordinaire… mais pour nous faire accroire cette invraisemblable et (finalement) niaise histoire, sortie de tortueux cerveaux, usant et abusant de personnages secondaires à la fois outranciers dans leur comportement et fort mal dessinés (le fils hostile – Mark Dennis -, la secrétaire prétendument défigurée – Barbara O’Neil  -, la sœur mante-religieuse – Anne Revere -), il en faudrait davantage…

Les fumées de la psychanalyse et les traumas de l’enfance ont fourni leur lot de scénarios à émotions fortes et à révélations finales redoutables (parmi les réussites du genre, je vois, par exemple Chut, chut, chère Charlotte de Robert Aldrich) ; encore faut-il qu’il y ait à la fois cohérence du récit et épaisseur humaine des protagonistes… Dans Le secret derrière la porte, non seulement on ne croit pas une seconde à cette histoire à la limite du grotesque d’un Barbe-Bleue étasunien, mais on ne ressent aucune sympathie, aucune compréhension humaine ni pour le douloureux Mark Lamphere (Michael Redgrave), ni pour sa victime finalement (presque) consentante, Célia (Joan Bennett)… Tout cela demeure extérieur, artificiel, quelquefois même un peu ridicule (la présentation aux invités d’une party des six chambres où sont reconstitués des crimes célèbres, objets de la fascination de Mark)…

Quel dommage, donc, que le scénario ne soit pas plus subtil et, par exemple, le personnage de Mark plus sombre ! Supposons qu’on soit parti sur le rythme inquiétant de la rencontre, sur un marché du Mexique, de Célia et de Mark ; Célia, fascinée, assiste à une rixe au couteau entre deux hommes qui se disputent une femme ; et elle ressent la jouissance de cette femme, tellement objet de désir qu’on s’entretue pour elle ; et brusquement, elle sent qu’elle est regardée : sa voix off : J’ai senti un frisson dans la nuque, comme un courant d’air froid ; des yeux qui me touchaient comme des doigts ; ils voyaient en moi ce que personne n’avait jamais vu.

Si Lang avait poursuivi sur ce registre trouble et venimeux, quelle merveille…!

Leave a Reply