On se demande pourquoi Le train sifflera trois fois bénéficie d’une telle aura, alors que c’est un film du douzième rang, construit sur un scénario infantile, des acteurs marmoréens et ennuyeux comme la pluie, une musique exaspérante (de Dimitri Tiomkin) qui fut, hélas, un succès considérable, qui ne présente même pas ce qui est le principal intérêt des westerns, des décors pittoresques et spectaculaires…
L’anecdote de la bourgade menacée par une camarilla de voyous et de tueurs, et défendue par des types courageux, on l’a déjà vue dix fois, et on la reverra ad libitum, jusque et y compris dans le trop long Rio Bravo, qui a, au moins, l’avantage de personnages faits de chair et de sang, bien loin des caricatures de ce Train qui n’en finit pas d’arriver et qui, bien qu’il ne dure pas même une heure et demie paraît absolument interminable, simplement peuplé par les déambulations de Gary Cooper dans des décors de bande dessinée et ses rencontres avec des archétypes sans épaisseur.
Quel mérite peut-on trouver au film de Zinnemann, sinon d’avoir, au moins, donné sans doute l’idée à Sergio Leone de la grandiose scène inaugurale de Il était une fois dans l’Ouest, qui est d’une autre substance, d’une autre complexité, d’une autre épaisseur ? Trois types attendent un voyageur dans une gare perdue, sur fond de château d’eau et de désert absolu ; mais là où Leone capte, avec des riens inoubliables (le grincement de l’éolienne, par exemple) des tranches impeccables de pesanteur, d’ennui, et d’anxiété, Zinnemann tire à la ligne pour de tous petits effets ; qui a peur, lorsque le bandit Frank Miller (Ian Mac Donald) descend du wagon, alors qu’il est censé être un tueur dangereux ? Personne… rien de l’Ouest poisseux n’est angoissant, tout paraît sorti de chez Lucky Luke…
Avec ça, des acteurs guindés, coincés, blindés d’ennui… Le shérif Kane (Gary Cooper) semble avoir avalé un manche à balai, ne donne pas la moindre substance à son rôle de courageux et unique défenseur de La Loi à l’ouest du Pécos, sauf – essayons d’être équitable ! – lorsqu’à la toute dernière image du film, il jette dans la poussière l’étoile de cuivre symbole de sa fonction, en signe de mépris pour tous les habitants du patelin. Sa femme, Amy,(Grace Kelly) est un des personnages les plus insignifiants de ces innombrables histoires de garçons vachers qui constituent la trame inévitable des kyrielles de productions hollywoodiennes qui ont empuanti durant des décennies l’imaginaire des spectateurs…
J’ai bien lu, chez certains, l’évocation et le panégyrique du jeu de la défunte princesse de Monaco, dont la froideur de comportement et l’apparence godiche étaient le fonds de commerce avant qu’elle ne devienne Mme Grimaldi… Dans Le train sifflera trois fois, elle est tellement écrasée par la vivacité et la lourde sensualité de sa rivale Helen Juarez (Katy Jurado) dont on se demande bien pourquoi elle a pu être délaissée par Kane, qu’on est stupéfait qu’elle ait pu laisser un nom dans l’histoire du cinéma (à dire vrai, si la suite de l’histoire n’avait pas été un conte de fées à usage des classes laborieuses, qui se souviendrait de Grace Kelly ?)…
Personnages sans substance, anecdote rebattue, manichéisme primitif des rapports humains, didactisme pesant (les seuls habitants de la ville qui prêteraient leur concours au shérif Kane sont un vieil ivrogne et un adolescent à peine pubère), musique insupportable dont le thème est décliné sans variété sur toutes les coutures, lourdeur de la mise en scène, absence de tout suspense dans la seule scène d’action qui conclut le film… Même l’idée de faire coïncider l’action avec la durée du film – à peu près une heure vingt – est traitée sans rythme et sans ardeur.
Un des films les plus surévalués de l’histoire du cinéma, sûrement…. Si je ne suis guère amateur de westerns, je peux m’émerveiller de la force et de la beauté formelle de La prisonnière du désert, je peux m’exalter de l’émotion mélodramatique et héroïcisante de La révolte des dieux rouges, des nobles sentiments de L’homme des vallées perdues et entrer dans la subtilité cinématographique des films de Leone ; mais là ! puéril, niais, prétentieux… comment faire un mythe de ces récits d’arrière-cour !!!?