Le grand rire de l’Immortel.
Un film qui se tient à un croisement de chemins entre Mélodie en sous-sol, La horde sauvage et Aguirre, qui plus est réalisé par John Huston et interprété en première ligne par Humphrey Bogart ne peut pas être entièrement mauvais, n’est-ce pas ?
Je dois avouer que je me suis ci-dessus un peu laissé aller à la facilité et à la cocasserie de la formule et que ceux qui voudraient retrouver les mots d’Audiard dits par Gabin, la grandiose sauvagerie désespérée du film de Sam Peckinpah et la folie furieuse angoissante de Klaus Kinski au milieu des hurlements de singes, me faisant foi, pourraient l’avoir mauvaise. J’exagère, évidemment, mais pourtant…
Pourtant il y a le Mexique aride, plein de bandits sanguinaires et de policiers à exécutions sommaires ; il y a l’évidence que tout ce qui a été gagné ne peut qu’être perdu ; il y a la décomposition d’un groupe sous l’effet de la cupidité, de la convoitise et de la paranoïa. Mais, naturellement, il y a aussi autre chose : le regard narquois, sarcastique, quelquefois hilare que porte John Huston sur toutes les manigances des humains, sur les efforts dérisoires accomplis pour très peu de choses.
Des gringos dans la misère noire dans une petite ville du Mexique, c’est presque un thème récurrent ; rien que pour le cinéma français, il y a Le salaire de la peur ou Les Orgueilleux, et je gage que beaucoup de cinéastes étasuniens ont placé leurs protagonistes dans ce qui paraît toujours être la réalité poisseuse de l’au delà du Rio Grande. Dobbs (Humphrey Bogart) et Curtin (Tim Holt) sont compagnons d’infortune et de dèche et décident d’aller chercher fortune dans la montagne hostile, en compagnie d’un vieux prospecteur revenu de tout, mais prêt encore à tenter sa chance, Howard (Walter Huston, père du réalisateur, absolument excellent).
Personne ne se fait trop d’illusions sur la suite : Je sais ce que l’or fait de l’âme humaine a prévenu Howard avant même le départ. Ce qui devait arriver arrive : les trois hommes découvrent des sables aurifères, les exploitent et, au fur et à mesure que leur magot enfle, commencent à se surveiller…
En fait, c’est surtout Dobbs (Bogart) qui est grisé, fondu, affolé par l’inquiétude et le soupçon ; Dobbs n’est pas un type très sympathique et d’emblée, on sent qu’il suivra sa mauvaise pente ; mais il va de plus en plus se déglinguer, perdre ses rares repères et entrer dans une folie obsessionnelle qui le poussera jusqu’au crime et à la folie.
Naturellement, le tas d’or sur quoi il pense voguer va se disperser au vent ; naturellement, dans une scène de grande tension, il va perdre la vie. Mais ses deux compagnons ne bénéficieront pas de sa disparition ; il y aura simplement l’ironie des choses, le grand rire de la nature qui prend ses droits, et le sarcasme hustonien, omniprésent dans les dernières séquences du film.
Moins linéaire que d’autres films d’échec final réalisés par Huston, Quand la ville dort, Moby Dick ou L’homme qui voulut être Roi, Le trésor de la Sierra Madre, qui est absolument dépourvu de personnage féminin, est narquois, intelligent, très bien mené, couvert de récompenses justifiées, un film méchant et drôle à voir sans modération.