Le trio infernal

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Aussi salissant que remarquable.

Je n’avais pas gardé grand souvenir de ce premier film de Francis Girod ou, plutôt je me le rappelais comme une sorte de pochade outrancière, assez écoeurante mais limitée.

On en connaît l’argument : Georges Sarret (Michel Piccoli) dont rien ne laisse penser qu’il ne s’est pas héroïquement comporté durant la Guerre (la première scène est la remise de sa rosette d’Officier de la Légion d’Honneur) est, en 1919, un avocat véreux, vicieux, cynique, pourri jusqu’aux os qui réalise d’habiles escroqueries à l’assurance, avec sa compagne Philomène Meyer (Romy Schneider), puis, rapidement avec l’aide de la sœur de Philomène, Catherine (Mascha Gonska), qui est également sa maîtresse.

Tout cela se passe dans le climat d’une après-guerre, où les cadres ont tellement disparu, où le million et demi de morts a brisé, dispersé les familles, où les repères sociaux vacillent, où le monde est pris d’une folie de plaisir et d’argent – tellement compréhensible après les cinq ans d’enfer – que rien n’est impossible.

L’esprit et le goût des choses ne sont plus les mêmes : la longueur inusitée du conflit a bouleversé les mentalités, les systèmes de référence, les habitudes de vie : les enfants ont grandi sans leur père, les femmes se sont habituées à vivre sans leur mari. Les années folles découvrent le jazz, l’art abstrait, le surréalisme, les loisirs, la vitesse. La frénésie s’empare d’un monde naguère vécu de façon rêveuse, paresseuse, dilettante. Plus de socle, plus de valeurs avérées, plus de pesanteur des regards et des statuts sociaux.

De quelque coté qu’on se tourne – politique, diplomatique, social, économique, artistique, spirituel, sociologique – on n’aperçoit guère qu’un monde nouveau, dépourvu des racines vivaces qui permettent seules le progrès des civilisations. Le monde calme et bien planté s’est effacé devant une sorte de bouillonnement continu, plastique voire élastique ou la fortune d’hier est engloutie, d’où surgissent sans cesse de nouvelles couches sociales, de nouvelles idées, de nouvelles angoisses.

De l’escroquerie habile, Sarret et les deux soeurs passent ainsi très vite au meurtre (meurtre d’anciens complices guère nets non plus : un moine défroqué et pédophile (Philippe Brizard) et sa compagne, usurière, (Andréa Ferréol). Pour s’en débarrasser, on immerge les corps dans deux baignoires emplies d’acide sulfurique…

Les scènes de massacre, de dissolution des cadavres et plus encore de l’immonde vidange des baignoires, du magma gluant à soulever le cœur qui demeure ont fait beaucoup pour le succès de scandale du film, qui eut un grand destin public ; et il faut avoir un certain goût pour l’immonde et le répugnant pour les supporter sans frémir.

Le travail sur le son, d’ailleurs, est remarquable : Piccoli touillant sans cesse les restes humains et plongeant consciencieusement une louche sonore dans la mixture brunâtre et lourde, muni d’un masque à gaz, comme les deux soeurs d’ailleurs, qui ont elles pour tâche l’une de porter les seaux jusqu’au fond du jardin, l’autre d’épandre les immondices, tout cela forme des scènes difficiles…d’autant qu’elles sont soulignées par une délicieuse musique, capricante et légère du grand Ennio Morricone, presque aussi réussie que celle de La Banquière du même Francis Girod.

Celui-ci explique, dans le supplément intéressant joint au DVD, qu’il a bénéficié de gros moyens pour tourner le film : cela se voit, dans la reconstitution de l’époque, mais aussi dans les somptueux décors qui ne sont pas le moindre des charmes d’un film extrêmement vénéneux et, à nombre de sens du terme, salissant.

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