La vie est un long fleuve tranquille.
Si le film ne durait qu’une heure, avait donc le format – rare et baroque – d’un moyen métrage, ce serait un petit bijou à qui rien ne serait à reprocher, si ce n’est le jeu en roue complétement libre de Michel Serrault et de Michel Galabru à qui le réalisateur Pierre Tchernia a laissé la bride sur le cou, s’amusant certainement beaucoup des pitreries de ses acteurs. On sent d’ailleurs que le tournage a été une partie de plaisir entre complices qui n’imaginaient sans doute pas que Le viager rencontrerait un succès aussi étendu et aussi durable. Film qui fait, sûrement sans leur coûter beaucoup, les soirées inusables des chaînes de télévision.
Le ressort de l’intrigue, sans être tout à fait original, est habile et amusant. Il a néanmoins le défaut d’être d’une telle simplicité qu’il est totalement prévisible. Puisque Louis Martinet (Michel Serrault) est promis à une mort prochaine par le douteux et incapable docteur Léon Galipeau (Michel Galabru), il va de soi qu’il est bien loin d’avoir un pied dans la tombe et qu’il enterrera tous ceux qui, avec un peu de mépris d’abord, puis de l’exaspération, puis de la haine, guetteront son décès.
Mais c’est dans ce tous ceux qu’est la grande qualité du film de Pierre Tchernia. Nonobstant ce que j’ai dit plus avant, les deux vedettes, Serrault et Galabru s’en donnent à cœur joie et parviennent quelquefois à atteindre le génie dans l’outrance. Et les seconds rôles sont épatants. Seconds rôles qui – je en cesse de le dire et le répéter – constituent toujours la chair, l’équilibre, la structure d’un film. Jean-Pierre Darras, qui est Émile Galipeau, impressionné, sans doute depuis l’enfance par Léon, son tonitruant frère, Rosy Varte, Elvire, sa femme, absolument impeccable, haineuse, agressive, très consciente de la médiocrité familiale, Odette Laure, Marguerite, femme de Léon, absolument idiote. Et encore un peu derrière les grands-parents, Noël Roquevert, qu’on n’a jamais vu mauvais, évidemment et Madeleine Clervanne, chichiteuse qui paraît toujours à deux doigts d’avaler son dentier.
Malheureusement le film ne tient pas la distance et commence à ahaner un peu trop vite. Comme le scénario est de René Goscinny, on peut bien sûr compter sur le regard sarcastique porté sur le pontifiant Léon/Galabru et ses prévisions politiques, ses retournements de veste de couleuvre (image hardie, j’en conviens !), mais on sent que s’accumulent peu à peu les ponts-aux-ânes plutôt faciles, d’autant que s’entassent avec trop de facilité les interventions qui n’apportent rien d’autre que la certitude que Pierre Tchernia était copain (et sûrement merveilleux copain) de tas de comédiens, Yves Robert, Jean Carmet, Jacques Bodoin et tant d’autres, jusqu’à José-Luis de Vilallonga…
Tout cela parce qu’au bout d’un moment, il faut évidemment que soient éliminés tous les présumés bénéficiaires du viager, bonne affaire de façon que, à la fin, le doux Martinet/Serrault, survive sur les décombres. Ce qui est trop gentil, ce n’est pas cet aboutissement, fort moral au demeurant, c’est qu’on l’ait vu arriver avec des sabots de sept lieues dès le début sans que, à aucun moment, il y ait eu le moindre doute sur l’issue.
Un réalisateur de comédie italienne de la grande époque aurait pu tirer du scénario un bijou de cruauté et de méchanceté, porter un regard sarcastique sur les veuleries satisfaites de la petite bourgeoisie, tracer de ces minables familles un portrait aigu et décapant. Mais Tchernia et Goscinny sont bien trop gentils ! C’est d’ailleurs pour ça, malheureusement, qu’ils ont survécu.