Le vice et la vertu

Quelle blague !

Le vice et la vertu, c’est un petit, tout petit décalque des fastueuses, répugnantes, obsédantes 120 journées de Sodome sur un sujet-parabole-métaphore du Mal, situé à la même époque, celle de l’écroulement crépusculaire, infernal de régimes symboles de malédiction. Mais à voir les deux films, on se dit que le talent est évidemment la chose du monde la moins bien partagée et que le gouffre qui sépare le film de Vadim et celui de Pasolini est insondable.

Après avoir écrit cela, je m’objecte immédiatement, sans me convaincre tout à fait, que les conditions de tournage et les regards de la censure et du public tout à la fois n’étaient pas les mêmes en 1975 et en 1963 ; ce n’est pas faux et il est évident qu’en aucun cas Vadim n’aurait pu, par exemple, dans une époque très prude, appeler à l’écran les abondantes nudités dont Pasolini a considérablement usé. Certes, mais la difficulté de l’exercice en aurait haussé le prix et, sans seins ni sexes exhibés, il aurait pu tenter de faire pénétrer le spectateur dans le royaume d’ombre qu’il prétend évoquer.

Le Vice et la vertu - Annie Girardot catherine deneuve robert hosseinC’est d’autant plus dommage que son scénariste était Roger Vailland, dandy communiste drogué et libertin avec qui il avait déjà signé deux adaptations de récits sulfureux, une assez moyenne, Les liaisons dangereuses et une, plus vénéneuse et plus réussie Et mourir de plaisir. Surtout Vailland (dont plusieurs romans ont été très bien adaptés au cinéma, La Loi, de Jules Dassin, Les mauvais coups, de François Leterrier, La truite, de Joseph Losey) avait évidemment la dimension, la stature et l’ampleur intellectuelle voulues par la transposition des récits de Sade (Justine ou les malheurs de la vertu, Juliette ou les prospérités du vice) dans l’engloutissement, le Götterdämmerung du Troisième Reich, de l’été 44 au printemps 45.

À l’heure où Patrick Modiano reçoit, à bien juste titre, le Prix Nobel de littérature, on songe, aux premières images du Vice et la vertu, où un sale monde de soudards, de filles, de sportifs microcéphales, d’artistes cocaïnomanes, vide des bouteilles de champagne dans ce qui m’a semblé être la piscine Molitor avant sa rénovation, on songe à ce microcosme de racailles installées à l’hôtel de Figeac, dans Lacombe Lucien de Louis Malle. Ce même côté de danse sur un volcan et, pour les plus lucides des Boches, la certitude que la guerre est perdue et qu’il faut éliminer Hitler pour préserver l’Allemagne.

Le-Vice-et-la-vertuLe regard porté sur le complot de Von Stauffenberg, en juillet 44, qui faillit aboutir et aurait pu changer le sort du monde, est, de fait, ce qu’il y a de mieux du film. Le malheur est qu’il n’y a rien d’autre qui surnage. On se prend à rêver que la méchante Juliette (excellente Annie Girardot) va donner toute la mesure de la perversité qu’on en attend ; on déchante vite, tant Juliette, qui devrait être une sorte de monstre diabolique n’est là qu’une profiteuse égoïste, sans ampleur et sans grandeur. Par opposition, sa sœur Justine (Catherine Deneuve, débutante et évaporée) apparaît moins vertueuse qu’insignifiante. Mais le pire est à venir avec le colonel Schaunberg, censé être l’incarnation du Mal et qui ne semble être qu’un ambitieux sans envergure ; il est vrai que le personnage soufre, de surcroît, d’être interprété par Robert Hossein qui est à peu près aussi crédible en officier SS que Pauline Carton le serait en meneuse de revue du Moulin rouge. (En revanche Philippe Lemaire, au visage atone, n’est pas mal du tout en capitaine nazi).

Et puis, dès qu’on est transporté dans La Commanderie, château d’Autriche où quelques dignitaires hétéroclites – et souvent ridicules, ce qui est grave, lorsqu’on veut donner l’image de l’Enfer – sont assemblés pour profiter d’une sorte de harem de jolies filles, on atteint les sommets de la blague.

Roger Vadim était fait pour séduire et épouser des femmes ravissantes, beaucoup plus que pour tourner des films. Ça se vérifie immanquablement.

 

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