Les diamants sont éternels.
Voici d’abord un merveilleux conte pour les enfants qui aiment l’aventure, s’identifient au jeune John Mohume (Jon Whiteley) et découvrent avec lui en haletant les landes sombres parcourues de nuages noirs, les châteaux en ruine aux statues brisées, les cryptes pleines d’ombre inquiétantes et de cercueils vermoulus, les puits sans fond. Il y a des bandits, des duels, des fuites éperdues, des chevauchées ; il y a aussi ce personnage fascinant qu’on ne peut s’empêcher d’admirer, Jeremy Fox (Stewart Granger), la beauté, l’élégance, la prestance, faites homme, qui pourrait être un grand frère invincible et qui incarne tous les mystères qu’on ne comprend pas tout à fait, mais qu’on devine grisants. Qui n’a jamais rêvé vivre ces moments aussi excitants que terribles ?
Cette mise en scène des cauchemars de l’enfance dans un parcours initiatique féérique où se vit la confrontation avec le monde obscur des grandes personnes comporte tout ce qui fait la substance de cette fascination et nourrit les peurs primales : monde de la surface et monde souterrain, découvertes faites en épiant, ou en surprenant par mégarde, les conversations et agissements des adultes, cheminements dangereux, exploits courageux…
Mais en plus de la qualité de filmage de Fritz Lang, sur quoi on va revenir, il y a dans Les contrebandiers de Moonfleet, une densité et une richesse qui les font passer du statut assez simple des œuvres d’apprentissage adolescentes à celui des grands films de l’histoire du cinéma : c’est la juxtaposition, aux côtés des effarements et étonnements du jeune John, de la vie compliquée et douteuse de Jeremy Fox.
Drôle de héros, celui-là, si peu conforme aux images traditionnelles qu’Hollywood fabriquait à la pelle, bandit de grand chemin, cruel, violent, avide d’argent et de femmes, coureur de jupons cynique, nostalgique seulement, ce qui en amadoue un peu le contour, de ses amours blessées de jadis. Qui abuse de la confiance sans limites que lui voue le petit John, est tout prêt d’en abuser, en est simplement touché à la fin, pour lui laisser un souvenir lumineux et une espérance infinie en son retour…
Mais il y a aussi un regard sans bienveillance sur à peu près tout le monde. Les contrebandiers sont de sales types sans scrupule aucun, prêts à tout, des fauves toujours proches de se rebeller contre leur dompteur Jeremy Fox et qui sont à deux doigts d’égorger John, miraculeusement sauvé par l’irruption des douaniers dans la taverne crasseuse. Les aristocrates sont des libertins insouciants ou même comme le couple pervers formé par Lord (George Sanders) et Lady Ashwood (Joan Greenwood), qui fut une tout aussi légère Sibella, dans Noblesse oblige) d’affreuses canailles. Et puis le héros, rédimé, meurt à la fin.
Tout ceci suffirait déjà de faire des Contrebandiers de Moonfleet un film intéressant. Mais le talent de Fritz Lang en a fait un film magnifique, notamment par l’emploi bluffant des couleurs. Les vêtements de Fox, rouge cerise ou mordoré dans l’atmosphère des tavernes et des chemins creux, le violet vif de la tenue de lord Ashwood (George Sanders), le chatoiement des robes de la gitane (Liliane Montevecchi) sont autant de signaux qui caractérisent et, dans ce film très nocturne, éclairent les personnages des maîtres et de leurs favoris, tout autant que les pauvres sont confinés dans le terne et le terreux, comme les paysans des tableaux de Le Nain.
Ambigu, éclatant, merveilleusement interprété.