Pâle étoile du soir, messagère lointaine…
J’aime John Huston, Clark Gable, Montgomery Clift et il faudrait être aveugle pour ne pas tenir Marilyn Monroe pour une superbe fille, même si ses talents d’actrice n’étaient pas, si j’ose dire, à la hauteur de sa chute de reins (image hardie !). Je n’ai jamais lu une ligne d’Arthur Miller,mais certains le tiennent pour un auteur important, ce que je veux bien croire. Et une histoire de paumés crépusculaires n’a rien pour me déplaire, bien loin de là ; à dire vrai tout esprit romanesque ne peut qu’avoir de la tendresse pour les vaincus du monde : Patagons fuyant au bout du cap Horn les peuplades amérindiennes, Croisés de l’Empire latin de Jérusalem, Byzantins trahis lors de la chute de Constantinople, Vendéens noyés dans la Loire, Sudistes brûlés dans l’incendie d’Atlanta, Russes blancs des armées de Denikine et de Koltchak abandonnés par l’Occident… Il y a, chez les gens qui ne tombent pas du bon côté de l’Histoire quelque chose qui m’émeut…
Et comme, en plus dans Les désaxés surgissaient comme de chers fantômes les images de Marilyn et de Clark Gable dont ce furent les dernières interprétations, qu’un ange sombre tournait depuis longtemps au dessus de Montgomery Clift et que se présentait un film en Noir et Blanc dans ce Nevada désertique où sont bâties deux des capitales mondiales du mauvais goût, Las Vegas et Reno, j’étais assez bien disposé à regarder ce film qui ne rencontra pourtant pas de succès, ni public, ni critique lors de sa sortie.
Étrange impression : une première heure et demie qui est une sorte de mixture indigeste, un gloubi-glouba invertébré où les personnages s’agitent de façon incohérente et quelquefois insupportable dans une sorte de formidable bordel visuel qui ne permet pas de s’y attacher le moins du monde ; je veux bien que ces tourbillons de récit entendent aussi représenter le désarroi de ces vieux sauvages qui ne veulent en aucun cas entrer dans le système et ne survivent que par des boulots de fortune, conformes aux traditions du vieil Ouest ; aux États-Unis subsistent encore d’étranges groupes dits libertariens, qui refusent toute soumission à l’ordre social et entendent vivre comme ça leur chante.
Pour Gay (Clark Gable) et son ami Guido (Eli Wallach) qui voient bien, sans se l’avouer, que le monde ancien s’efface il faut essayer de pousser jusqu’au bout ce qui a été fait jusque là. Tu commences à puer le travailleur ! dit Gay à Pierre (Montgomery Clift) qui envisage de plus en plus souvent d’abandonner les rudes peignées des rodéos, où il se fait ravager la figure plus souvent qu’à son tour. On n’est pas forcément passionné par ces ringards fatigué et à peu près insignifiants, sans rien en eux qui pèse ou qui pose.
Mais la dernière demi-heure est, elle, superbe, souvent glaçante. Sur une sorte de grand lac salé asséché parfaitement plat se joue la survie de chacun, ce qui va finalement les diriger vers les multiples médiocrités de leurs destins. S’il n’y avait que ces séquences où Marilyn vit une réelle crise de nerfs, où Clark Gable se montre aussi sauvage et brutal qu’il peut l’être dans les meilleures séquences de Autant en emporte le vent, où Montgomery Clift joue le personnage torturé, angoissé, épuisé qui correspond le mieux à ce qu’il a été.
D’une certaine façon, je ne vois pas que ce film ait le moindre intérêt ; d’une autre, je me dis qu’il n’est sûrement pas absurde que trois des plus grandes étoiles d’Hollywood s’y soient éteintes.