Les deux font la paire

Scandaleux.

Mais au fait, pourquoi intituler scandaleux un petit film ronronnant des samedis soirs (bonbons, caramels, esquimaux, chocolats), un petit film sans malice et sans prétention où l’on voit s’agiter plusieurs acteurs qu’on aime bien retrouver dans ces circonstances, qu’ils aient fait ensuite un peu plus carrière (Maurice BiraudJacqueline Maillan) ou qu’ils soient restés confinés dans des seconds ou troisièmes rôles (Pauline CartonAlice TissotFred PasqualiRobert Rollis), et même en silhouettes dont on oublie souvent le nom (René Bergeron ou Charles Bouillaud) ? Pourquoi intituler scandaleuse une histoire brindezingue et invraisemblable mais qui a des qualités pour être ingénieuse et rigolote ?

Ah voilà ! Deux minables comédiens, compagnons de misère et d’insuccès jouent les utilités dans le mesquin théâtre des Folies printanières, un de ces théâtres à revues variées (des girls, des danses, des numéros de cabaret, et Myra (Édith Georges), une vedette un peu déshabillée mais guère notoire) comme il y en avait tant et tant. Trignol et Baluchet rêvent d’acclamations, de succès fous, de public debout scandant leur nom… Quoi de plus naturel ? Mais comment y parvenir ? C’est tout simple lorsqu’on voit l’aura conférée par la presse aux affaires criminelles, les portraits des assassins (mais aussi ceux des victimes) se trouvant formidablement placées en première page des journaux et le récit des crimes alimentant l’actualité pendant des semaines.

Et puisque c’est tout simple, voilà ce qu’on va monter : faisant mine d’être tous deux amoureux de Myra, et donc férocement jaloux l’un de l’autre, ils feront semblant de se battre haineusement. Trignol disparaîtra et Baluchet sera soupçonné, confondu, arrêté, jugé, condamné… jusqu’à ce que Trignol réapparaissant dévoile la supercherie… et que tous deux recueillent la formidable publicité qui aura rejailli sur leur nom.

C’est ce qui se passera après dix péripéties, dont certaines sont amusantes et non sans que Trignol, pris pour un espion soviétique voulant trahir pour le Monde libre soit à deux doigts d’être exécuté par le KGB, ce qui entraînerait forcément la décapitation de Baluchet, qu’il n’aurait pas pu, évidemment, innocenter !

On le voit, ce n’est pas plus idiot qu’autre chose.

Alors pourquoi désastreux ? Eh bien, c’est tout simple : après avoir vu les dix premières minutes de Les deux font la paire, j’ai éprouvé une sensation de déjà vu très prenante : deux comédiens dans la dèche, une petite machination qui manque d’échouer, ça me disait quelque chose. Il ne m’a pas fallu rechercher longtemps pour découvrir qu’André Berthomieu avait sans aucun scrupule, réalisé en 1955 un remake d’un de ses propres films, de 1936, qui s’intitulait Le mort en fuite. Mais après tout, là encore, pourquoi pas ? Marcel Pagnol a bien tourné deux Topaze, l’un en 1936 avec Arnaudy, l’autre en 1951 avec Louis Jouvet. Certes.

Mais c’est précisément là que le bât blesse : vous souvenez-vous qui jouaient les rôles de Trignol et Baluchet dans le film initial ? Non ? Tout simplement Jules Berry et Michel Simon. Rien que ça !

Et dans le remake ? Jean-Marc Thibault et Jean Richard… Passe encore pour le premier, acteur honnête et sans aspérité… Mais Jean Richard,l’abomination de la désolation faite amuseur public ! Le grasseyant, ordinaire, ridicule Jean Richard, dont Simenon a eu, paraît-il honte qu’il osât interpréter Maigret…

Tout est dit, non ? Comment voulez-vous qu’on ne qualifie pas ça de scandaleux ?

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