Les dimanches de Ville d’Avray

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Qui ne se souvient de La petite fille aux allumettes, ce récit tragique d’Andersen, où une gamine misérable, lors de la nuit de Noël, en craquant une à une les allumettes qu’elle vend, tente se réchauffer et, dans chaque lumière surgie, voit apparaître un monde de tendresse et d’amour qui l’entraîne hors de son malheur ? De la même façon, Les dimanches de Ville d’Avray est un conte triste, une fête glacée que même ses maladresses entraînent sur le chemin de la féerie.

Maladresses, sans doute et évidentes. Nullement dans la façon de filmer de Serge Bourguignon, parfaitement maîtrisée et souvent d’une grande beauté. Mais sûrement dans les dialogues, trop souvent artificiels et presque guindés et aussi dans la conduite du récit qui manque quelquefois de vraisemblance, ce qui n’est pas vraiment grave, mais aussi de pertinence, ce qui l’est davantage. Ainsi toute la virée foraine de Pierre (Hardy Krüger) et des amis de Madeleine (Nicole Courcel), sa compagne ; je sais bien, je veux bien que le but de la séquence est de mettre en antagonisme le monde réel – celui de la fête et de la vie – et le pays enchanté où Pierre et la petite fille Françoise/Cybèle (Patricia Gozzi) se retrouvent pour vivre un amour/amitié d’une pureté magique incomprise de tous. Et il est vrai – je me repens immédiatement de ce que j’ai écrit quelques lignes plus haut – que cette séquence et quelques autres sont absolument nécessaires pour faire sentir le gouffre qui sépare les deux mondes…

cybele02Un drôle de hasard a fait se rencontrer Pierre, ancien pilote de chasse, devenu amnésique après avoir tué, ou cru tuer, lors d’une de ses missions en Indochine terminée par un grave accident et Cybèle, petite fille de dix à douze ans, abandonnée par ses parents dans une pension religieuse d’une calme banlieue de Paris (où on l’a renommée Françoise) ; entre l’homme perdu de doutes et de fragilités et l’enfant délaissée se noue une relation tendre, exaltée, exclusive.

Et pure ; profondément pure. Une relation filiale, mais aux repères brouillés où l’adulte n’est pas forcément le plus âgé ; et pas forcément le contraire. Rien de trouble dans Les dimanches de Ville d’Avray, si ce n’est le regard des passants sur ce couple invraisemblable de l’ancien pilote et de la petite fille, qui ne se cachent pas le moins du monde pour entrer dans leur pays des songes. Et, en fait, le regard des autres est moins trouble que troublé, parce que ce genre d’histoire désarçonne et interloque. Peu comprennent ce qui se passe : Madeleine (Nicole Courcel), donc, la compagne de Pierre, leur ami, le sculpteur Carlos (Daniel Ivernel)… c’est à peu près tout, sûrement. C’est si difficile de ne pas salir ce que l’on ne comprend pas…

sundays-and-cybele-screenshot-300x198La tristesse du récit est portée par le cadre choisi par le réalisateur : gare de banlieue aux quais qu’on devine battus par la bise, longues murailles revêches des grandes propriétés, silence des ruelles sévères et cossues, brouillards glacés des étangs où viennent se promener Pierre et Cybèle. On est tout près de Paris et à des années-lumière de la Capitale, comme dans certains romans de Patrick Modiano, qui ont presque le même décor de dimanches après-midi interminables et gris. Tout cela est admirablement filmé, dans un très beau Noir et Blanc qu’on doit au grand chef opérateur Henri Decae.

204360_320Le film, qui reçut en 1963 l’Oscar du Meilleur film étranger, est une sorte de miracle. Si son réalisateur, Serge Bourguignon avait acquis une certaine notoriété de documentariste (Palme d’or du court métrage à Cannes en 1960, pour Le sourire, qui est d’ailleurs inclus dans le DVD des Dimanches), il n’en a jamais ensuite pu retrouver la profondeur. Patricia Gozzi, dont le visage, le jeu, la voix avaient la touche d’étrangeté qui seyaient parfaitement à ce rôle de petite fille abandonnée, rêveuse, tendre et forte tout à la fois, a tourné deux ou trois films ensuite mais a vite abandonné le cinéma. Et je ne suis pas certain que Hardy Krüger ait trouvé ensuite un personnage aussi intéressant à interpréter.

Un film qui vous prend sous son charme triste et qui vous enserre peu à peu comme les brumes des étangs de Corot…

 

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