Il est extraordinaire de voir comme, partant des mêmes observations que certains amateurs du film, j’en arrive à des conclusions radicalement différentes et puisse venir dire tout l’ennui suscité par le film de Cukor ! Mais voilà qui fait la richesse du cinéma, ou, plus vastement encore de la vie en société : sur des prémisses identiques, parvenir à des points de vue opposés !
Sortant à peine de la vision des Girls, qui a peuplé une après-midi pleine d’orages célestes, je me disposais à écrire tout le mal que je pense d’une comédie musicale qui n’en est pas une, où les numéros dansés et chantés sont portion congrue, où la musique, d’ailleurs (de Cole Porter, pourtant) est absolument insignifiante et n’a laissé d’autre trace que Ça, c’est l’amour !, popularisé en France par Luis Mariano…
Sophistiqué, complexe et intelligent, a écrit un critique de qualité, et il a parfaitement raison ; je ne crois pas avoir vu une comédie musicale dont le scénario était aussi élaboré, la construction aussi subtile ; et c’est précisément là ce qui me retient, parce qu’il n’y a rien d’autre, et que l’anecdote n’est pas vraiment, n’est vraiment pas, ce qui peut retenir l’attention dans ce genre de films.
J’attends de la comédie musicale de la folie, de la brillance, du rythme, de la légèreté ; j’attends du rêve, de la gaieté, des chansons qui me restent en tête, des numéros dansés qui m’époustouflent, me donnent l’impression que cette grâce aérienne est simple… et tout à la fois impossible à reproduire par quiconque d’autre qu’un elfe enchanté. Je me soucie fort peu du scénario, de sa vraisemblance, de son réalisme, de son degré de pertinence : on n’est pas là pour ça, on est là pour entrer dans le monde enchanté où tout se dénoue sur un arrangement musical ailé…
Et voilà donc qu’à mes yeux, Les girls deviennent un pénible exercice de reconstitution d’un Paris de pacotille, semblable à celui d’Irma la douce, de Billy Wilder, ou d’Un Américain à Paris de Vincente Minnelli, mais sans la musique et sans la danse, qui est confinée dans quelques séquences, il est vrai assez réussies.
Dommage, parce que Gene Kelly est semblable au personnage traditionnel qu’on aime qu’il soit, et que les actrices sont joueuses et délicieuses, Taina Elg, la moins connue, Mitzi Gaynor, qui a de l’abattage, et Kay Kendall, qui n’avait plus alors, que deux années à vivre, et les vivait avec beaucoup d’élégance…
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On m’a cherché pouilles sur cette chronique :
Vais-je céder à la tentation, répondre aux provocations diverses, fût-ce sur le terrain scabreux où l’on efforce de m’attirer ? Bien sûr que oui !
Certains n’apprécient pas beaucoup la comédie musicale dans ce qu’elle peut avoir de plus élaboré et de plus réussi, ça leur paraît limité, suranné, limité, artificiel ; parfait ! n’en parlons plus ; je trouve pour ma part que les mouvements de sabre des samouraïs sont bien loin de mon goût ; je laisse à ceux qui les aiment le soin de tourner leur cuillère dans leur tasse de thé; il y a tant de demeures dans la maison du Père que c’est très bien ainsi.
Il n’y a pas de passage musical dans Les girls, il n’y a rien qui soit dans les codes du genre porté à son plus haut niveau avant guerre par Mark Sandrich (la perfection, musicale et dansée de Top hat) et après guerre par Stanley Donen (l’égale perfection, tout autant musicale et tout autant dansée de Chantons sous la pluie et peut-être davantage encore des Sept femmes de Barbe-Rousse) ; il n’y a qu’un scénario ingénieux, certes, mais aussi ennuyeux qu’une pièce de boulevard ou une énigme à la Japrisot ; en bref, l’amateur de musicals n’y trouve pas son content, alors que, deux ans plus tard West side story sera un des chocs de sa vie, et, quelques années plus tard, La mélodie du bonheur l’émerveillera… Et qu’il aura tant de plaisir aussi, à voir, bien plus tard, Grease.
Si Minnelli n’est pas vraiment une de mes fascinations, si je n’ai pas accroché jusqu’au bout à un Américain à Paris, à Tous en scène, au Pirate, ni même à l’excellent Brigadoon, j’y vois vraiment un talent, un savoir-faire, un abattage à cent lieues devant ces pauvres Girls languissantes et interminables. Mais bon, chacun ses goûts.
J’en viens au principal sujet des attaques conjointes, au sacrilège que j’aurais commis en regardant avec réserve ce Lawrence d’Arabie qui paraît réunir dans l’adulation beaucoup de cinéphiles ; je ne vais pas pour la dixième fois me défendre de l’accusation majeure d’homophobie, sur quoi on voudrait que je réagisse haut et fort ; mais, bien sûr, je continuerai à me moquer d’un guerrier exhibitionniste – celui que présente le film de David Lean (le réel colonel était-il aussi caricatural ?) – qui gambade, excité, sur le toit d’un train ; je n’imagine pas une seconde (quelle qu’ait été leur sexualité), Miltiade, Hannibal, Clovis, Du Guesclin, Turenne, le Maréchal de Saxe, Napoléon Bonaparte, Foch, De Lattre de Tassigny (ni même le Maréchal Lyautey, dont les goûts pédérastiques étaient pourtant fort notoires) se livrer, devant leurs troupes, à des démonstrations aussi grotesques. Bien sûr qu’un guerrier doit être viril, car la guerre, dût votre sensibilité en frémir, c’est tout de même En tuer ! selon l’éclairante devise du 501ème Régiment de chars de combat (désormais dissous et ci-devant cantonné à Rambouillet).
Donc, dans ces domaines fort codés du film de genre, que les femmes soient gracieuses (et écervelées, pour faire bonne mesure) et que les mecs soient ce qu’ils sont. Laissons la complexité des êtres à d’autres domaines du cinéma.