Cabotins pathétiques et merveilleux…
Je n’ai pas pour Les grands ducs la même tendresse que Patrice Leconte qui, dans le commentaire parlé de son film dit fortement combien il a été heureux de le tourner (soit dit en passant, quelle merveille, dans les DVD, ces commentaires de réalisateur qui fourmillent d’anecdotes, donnent leurs intentions, éclairent sur les lieux de tournage, ou un travers des acteurs…. quelle merveille, même si dans celui des Grands ducs, Leconte fait un lapsus rigolo en appelant consciencieusement son héroïne, l’actrice fofolle jouée par Catherine Jacob, Carla Milo, ainsi nommée sur toutes les affiches filmées, mais Sandra Milo, qui fut une pulpeuse actrice italienne…).
Je n’ai pas cette tendresse parce que, précisément, Leconte est trop tendre, trop sage et s’est laissé entraîner par l’amour qu’il porte à ses comédiens, à l’admiration éperdue qu’il éprouve pour leurs performances, et qu’il manque de cette goutte douce-amère qu’il a si bien su faire infuser dans Tandem, un des rares films français qui, dans ce domaine, tiennent leur rang devant les chefs-d’œuvre de la comédie à l’italienne.
Sans doute serait-il idiot de bouder son plaisir devant les grandissimes Noiret, Rochefort et Marielle pour qui le film a été écrit ; mais justement, et indépendamment du happy end qui ne s’imposait pas, le film aurait été merveilleux s’il n’avait tourné qu’autour de la tristesse, du côté un peu minable des comédiens qui n’ont pas eu le succès à quoi ils rêvaient, ceux qui s’voyaient déjà, comme chante Aznavour, ceux qui croyaient qu’ils auraient une vie grande, et c’est une toute petite vie, comme chante Souchon. Il y a des trésors pathétiques qui se perdent là, dans les espérances déçues, dans les jactances, les rires qui fusent d’autant plus forts qu’ils sont faux… On pourrait n’être pas si loin que ça de La fin du jour.
Trop gentil, Leconte, pourtant si acide dans Tandem, n’a pas de regard narquois non plus sur le public des tournées ringardes qui sillonnent les départements français, et trimballent les comédiens de Montélimar à Concarneau, dans des salles ébahies. Tout au moins porte-t-il le regard lucide de la caméra dans les rues vides des villes de province, qui évoquent toutes une après-midi de dimanche en novembre… Dès lors le passage d’une troupe théâtrale nimbée du parfum de la Capitale recèle-t-elle un parfum sulfureux délicieux… Que c’est triste….!
Les grands ducs, restés sur ce registre désespérant, comme Tandem, comme L’homme du train, comme dans une autre mesure La fille sur le pont serait, avec un peu plus de fiel, un film formidable, grâce à des dialogues ciselés de Serge Frydman (Je me sens seule comme dans un aquarium vide –Irène Jacob – Au théâtre, c’est sur ses silences qu’on juge un acteur – Jean-Pierre Marielle – Les cloisons, ça vous fait des générations de taupe – le même – Voiture de Rital, attitude de faux-cul, tête de faux-derche – Jean Rochefort, sur la dégaine du metteur en scène de l’improbable pièce Scoubidou). Grâce aussi à une musique séduisante de Jean-Claude Nachon, presque aussi réussie que celle du Petit Marguery.
Tel quel, il reste trois acteurs formidables, et une très belle distribution adventice. Assez pour revoir le fil de temps en temps et passer un très bon moment.