Les jeunes loups

les_jeunes_loups_1968_-5e09f À la poursuite de la jeunesse.

Les jeunes loups sont sortis sur les écrans au début du mois d’avril 1968. Quelques jours plus tard les effluves puissants des gaz lacrymogènes emplissaient les rues de Paris. Ces effluves enterraient pour longtemps un film que la critique n’avait pas apprécié et qui ne survivait depuis lors que par la réputation de son réalisateur et par la chanson I’ll Never Leave You, interprétée par Nicole Croisille, baptisée pour la circonstance Tuesday Jackson, pour faire chic et anglo-saxon.

Depuis la fin de son osmose collaborative avec Jacques Prévert et l’échec magnifique des Portes de la nuit, Marcel Carné cherchait à comprendre la jeunesse, sans lui-même saisir qu’elle s’était enfuie pour toujours. Il avait réussi son coup, au moins côté scandale, avec les assez médiocres Tricheurs en 1958, consacré à ce qu’on pouvait appeler les blousons dorés, beaucoup moins en 1960 avec Terrain vague et ses blousons noirs. Retour à des films plus classiques, honorables (et un peu davantage) au demeurant avec Du mouron pour les petits oiseaux et Trois chambres à Manhattan. Mais une intuition, la perception que quelque chose est en train de se passer : lassitude de la société de consommation, envie de liberté sexuelle, rejet de l’autorité et de l’ancien monde : un sujet en or, qu’on plaque sur une histoire plus classique, l’envie forcenée de réussir, de quitter la médiocrité salariée de quelqu’un qui possède un beau physique et qui n’a aucun scrupule pour s’en sortir.

original_1Que ce quelqu’un soit, à l’inverse de la plupart des histoires de ce type déjà contées, un homme plutôt qu’une femme ne manque pas d’originalité et n’est pas mal venu. J’ai lu quelque part que Les jeunes loups, son gigolo incapable de résister à l’attrait de l’argent (et de sa propre séduction) et sa jeune fille amoureuse, prête à presque tout pour conserver auprès d’elle celui qu’elle aime était l’exact inverse de Manon Lescaut (et de Manon, le film peu réussi de Clouzot) : ce n’est pas faux et ça fonctionne assez bien. Ça permet en outre de placer davantage de soufre dans l’anecdote, le jeune homme, peu sourcilleux ni pointilleux sur les détails se consacrant prioritairement aux dames pas encore tout à fait mûres mais acceptant à l’occasion de dispenser ses charmes à son propre sexe.

Ce jeune homme, Alain, est interprété par Christian Hay, qui n’a pas laissé d’autre trace visible dans l’histoire du cinéma, bien qu’il ne soit pas mauvais du tout avec ses faux airs de Jacques Dutronc ; la jeune fille amoureuse, Sylvie, c’est Haydée Politoff, dont le beau visage à la fois enfantin et sensuel qui fut celui de La collectionneuse d’Éric Rohmer, un an auparavant, méritait lui aussi bien mieux que l’oubli et les productions marginales qui ont suivi. Ajoutons que, pour une fois, en hôtelier délicieux et insomniaque, Roland Lesaffre, aussi indispensable aux films de Carné que Gaby Basset l’était aux films de Gabin est plutôt bon.

jeunes01Et pourtant, malgré toute la sympathie que je peux leur donner, Les jeunes loups est un film absolument raté. Si les assisses du scénario sont solides et intéressantes, son écriture est relâchée, les épisodes sont répétitifs et manquent de rythme, les situations sont caricaturales, certains dialogues atteignent les sommets du ridicule, du convenu et du naïf (Elle l’aime, c’est sûr… Mais lui, l’aime-t-il ?). Et puis, voulant montrer la jeunesse, Carné lui fait l’œil de biche et la danse du ventre : tous les adultes sont pitoyables ou odieux ou grotesques et, exception faite du gigolo Alain et de sa petite bande, les jeunes gens sont purs et désintéressés, en premier lieu Chris (Yves Beneyton), qui a quitté le luxe de sa famille pour faire le hippie rue des Canettes, qui aime Sylvie et qui aidera à la rédemption finale d’Alain.

Restent une bonne musique, les salles enfumées de la nuit parisienne à l’époque où personne ne songeait à proscrire la nicotine, les voitures de sport anglaises (Sunbeam) ou italiennes (Alfa-Roméo) ; quelques seconds rôles revus avec plaisir (Elina Labourdette, Élizabeth Teissier ou Bernard Dhéran) et le joli corps dénudé d’Haydée Politoff. C’est Noël, ou presque : ma note est bienveillante.

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