Beau, rare et triste…
Dès qu’on voit liés à l’écran les noms du réalisateur Yves Allégret et du scénariste Jacques Sigurd, on sait qu’on va aller dans les marécages : qui a vu Dédée d’Anvers, Une si jolie petite plage et surtout Manèges (leur chef-d’œuvre) sait bien que c’est dans des eaux noirâtres que ces deux-là nagent au mieux. Fiels et haines, noirceurs perverses, vies gâchées, fatalité écrasante qui esquinte les existences.
Les miracles n’ont lieu qu’une fois n’a pas la cruauté de ces films-là, mais a tout autant d’amertume, de pesanteur, de tristesse inaboutie, à tout le moins dans sa deuxième partie et son achèvement, qui est très beau.
Deux étudiants en médecine, lui Français, Jérôme (Jean Marais), l’autre Italienne (Alida Valli) vont connaître une profonde et fraîche passion. Leur amour s’est révélé à la veille des vacances et du retour de Claudia en Toscane, mais Jérôme, au milieu du mois d’août vient la rejoindre ; ils deviennent amants dans une calme auberge de San Gimignano, à côté de Sienne : Un miracle a eu lieu, se disent-ils. Cette partie est tout de même un peu naïve : on sent qu’Allégret et Sigurd ne sont pas vraiment à l’aise dans les histoires heureuses.
Manque de pot pour les jeunes gens : cet été-là est l’été 1939, le dernier été de la paix… Retour de Jérôme en France, incorporation, « drôle de guerre », débâcle, camp de prisonniers, évasion, retour à Paris, mais il n’est plus l’heure de reprendre des études de médecine quand on n’a pas un sou, des faux papiers et la nécessité de survivre. Jérôme et Claudia ont correspondu tant qu’ils l’ont pu, jusqu’à ce que les lettres se perdent, ne puissent plus arriver à des adresses où désormais ils n’habitent plus parce que la tragédie, autour d’eux, les a rattrapés.
Jérôme survit d’expédients, peut-être un peu louches, de trafics divers, de marché noir ; il n’a pas oublié Claudia, mais il ne peut pas vivre seul ; c’est la fin de la guerre, la Libération ; Jérôme se marie, puis divorce assez vite. Il part à la recherche de son amour de jeunesse ; il retrouve, en 1950, une femme amère, déchue, qui a abandonné, elle aussi la médecine, qui survit chichement, infirmière dans un institut religieux et qui a un soupirant (amant, aussi, sans doute, de temps à autre et quand la solitude se fait trop lourde) bien terne.
Mais ça ne marche plus ; onze ans plus tard, ils sont marqués, desséchés, mutilés, dans le regret terrible d’une histoire d’amour ratée… Il n’y a plus d’étincelle pour éclairer cette nuit qui leur est tombée dessus, même s’ils se parlent, s’ils essayent de faire revivre les moments de grâce et leur bonheur de San Gimignano en y retournant, en faisant semblant.
Le happy end est triste : conscients que rien ne pourra leur redonner ce qu’ils ont perdu, les amoureux vont vivre ensemble : le peu qu’ils auront sauvé, c’est mieux que rien : Nous en demandions trop : les miracles n’arrivent qu’une fois… J’aime beaucoup cette résignation douce, si vraisemblable…
La fin du film est donc très réussie, d’autant que les acteurs ont pris l’âge qu’ils sont censés avoir et que, lors de la partie qui représente les débuts de leur amour, en 1939, ils portent mal : en 1950, Jean Marais, né en 1913 avait 37 ans et son personnage, Jérôme en a 35 ; Alida Valli, née en 1921, se retrouve aussi. Mais si l’actrice italienne interprète avec grand talent la réserve timide puis la tristesse de Claudia, la dégaine, la voix, le physique avantageux de Jean Marais sont aussi insupportables que d’habitude. Ceux qui ont la faiblesse de me lire savent bien que je n’ai pas de dilection pour cet acteur mythique, surtout pour ses premiers rôles (je le supporte à peine mieux en garnement bondissant, du Bossu au Miracle des loups) que je trouve bien artificiel et souvent niais, parfaite icône de l’aryen blond qui faisaient se pâmer Jean Cocteau ou Arno Brecker. Peut-être suis-je injuste, mais je trouve que sa présence et son jeu plombent passablement Les miracles n’ont lieu qu’une fois comme ils le feront du film suivant du duo Allégret/Sigurd, Nez-de-cuir qui est un malheureux presque ratage.