Légende des siècles.
Prévenu par une critique réticente, je n’ai pas acheté Les neiges du Kilimandjaro pour compléter le gros coffret Guédiguian (15 titres) dont j’ai, au cours de l’année passée chroniqué 9 films, dans l’ordre chronologique de réalisation, à la seule notable exception du Promeneur du Champ de Mars, qui se situait hors de l’habituelle atmosphère de Marseille. Mais Les neiges sont passées il y a peu sur Canal+ ; il m’aurait paru absurde de ne pas regarder.
Une fois que j’ai écrit ça, qui est d’un intérêt bien relatif, qu’est-ce que je pense de ce dernier opus ? Eh bien sûrement pas du mal ; même si ça peut ne pas passer pour un des meilleurs films d’un metteur en scène vraiment très intéressant. Je trouve que les acteurs-phares, les personnages majeurs de l’imaginaire de Guédiguian prennent, au fil des ans, de plus en plus d’humanité et de densité : il ne me lasse pas du tout de retrouver depuis longtemps Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan (et quelques autres) et de les voir évoluer, vieillir, se buriner mais aussi prendre avec le spectateur la connivence qu’on ressent entre vieux amis.
Il y a toujours aussi cette tristesse des aspirations sociales et politiques enfuies mais, parallèlement, la petite lueur de courage, la petite espérance toute tiède, toute douce dans la famille, l’amitié, la générosité. Dans ma découverte, je me suis, pour l’instant, arrêté à À la place du cœur, qui date tout de même de 1998, alors que Les neiges sont sorties à la fin de 2011. Est-ce que la situation a beaucoup évolué depuis lors ? Sans doute pas… Fermeture des usines, plans de licenciement, chômage structurel, délinquance, absence d’avenir perceptible… et, parallèlement, égoïsme, repli sur soi ou, pire, sauve-qui-peut et chacun pour soi.
Tout ce qui, dans le film, couvre ces deux aspects – l’éparpillement sociétal/la chaleur des cellules de repli – est aussi réussi qu’à l’habitude et peut-être même davantage, grâce à d’autres personnages et acteurs de qualité (Maryline Canto – Denise, la sœur de Marie-Claire – Ariane Ascaride – Julie-Marie Parmentier, la jeune voisine). Mais Guédiguian, à mon sens, se fourvoie en construisant une intrigue niaise et doucereuse.
Avant que le générique final ne survienne et le confirme, je m’étais dit que l’avalanche des bons sentiments m’évoquait irrésistiblement le cri du cœur mélodramatique de la femme du pêcheur qui, dans le poème des Pauvres gens de Victor Hugo a furtivement accueilli les enfants orphelins de sa voisine morte, alors que son propre foyer ne roule pas sur l’or. Son pauvre mari rentre harassé d’une longue course en mer, elle lui apprend la mauvaise nouvelle, sans trop oser rien dire ; et le brave homme de se gratter la tête, mais de dire :
Quand il verra qu’il faut nourrir avec les nôtres
Cette petite fille et ce petit garçon,
Le bon Dieu nous fera prendre plus de poisson.
Moi, je boirai de l’eau, je ferai double tâche,
C’est dit. Va les chercher. Mais qu’as-tu ? Ça te fâche ?
D’ordinaire, tu cours plus vite que cela.
Tiens, dit-elle en ouvrant les rideaux, les voilà !
Ce dernier vers a bien fait pleurer d’émotion, tant dans les chaumières que dans les châteaux. Mais bâtir un film et toute son intrigue pour pouvoir en utiliser l’esprit n’était pas forcément une bonne idée. Et, de fait, c’est plutôt acrobatique, alors que le sujet de l’embourgeoisement (relatif !) des syndicalistes en pré-retraite confronté à la désespérance absolue de la jeunesse était plus grave et plus profond.