Grands méchants loups.
Je n’avais pas pour David Cronenberg un goût bien affirmé et ses histoires assez chtarbées et malsaines. Vidéodrome, M. Butterfly, EXistenZ, ça ne m’avait pas tellement plu. J’ai glissé Les promesses de l’ombre dans mon lecteur avec un peu de méfiance et de scepticisme. Et tout de suite, pourtant j’ai été happé, immergé dans l’atmosphère de ce récit qui ne me semble pas avoir grand rapport avec les films précédents. Violent, cruel, glaçant, sans doute, mais pas vraiment gluant comme les autres.
C’est grâce à sa composition essentiellement, à son souffle, à son rythme et bien sûr à ses acteurs que le film a de l’intérêt.
Car le scénario, s’il n’est certes pas banal, est assez facilement décryptable et même un peu trop prévisible. Il me semble, par exemple, que l’on devine bien rapidement que Nikolaï Loujine (Viggo Mortensen), le taciturne, calme, absent chauffeur des bandits n’est pas celui qui paraît si impitoyable. Par exemple, après qu’il vient de sauter une pauvre jeune prostituée russe sur l’ordre furieux son patron, le psychotique Kirill (Vincent Cassel). Alors que la gamine chantonne une comptine douce, sur la liasse de billets qu’il lui laisse, il glisse une icône. Ah ! Sainte Russie que 70 ans de communisme ne sont pas parvenus à tuer ! Celui qui n’a pas compris la véritable fonction, le vrai rôle de Nikolaï après cette scène ne sait pas regarder un film.
Donc une de ces multiples histoires de maffias impitoyables qui sont parmi les plus belles réussites du cinéma de genre. Rien à voir avec les loubards de banlieue, les petits caïds sans surface et sans vision d’ensemble. Sous la surface parfaitement polie et apparemment très respectable des chefs, une violence et une cruauté inimaginables, une organisation d’une parfaite efficacité, l’habitude de prendre des décisions rapides et définitives. Et avec ça, comme habituellement, un sens très sûr de la famille à quoi on tient plus qu’à tout. Ceci, donc, est classique ; mais voilà qui n’est pas du tout un reproche.
Parce qu’ainsi, loin des constructions épouvantablement compliquées par quoi certains réalisateurs tentent de masquer leurs insuffisances, le spectateur peut suivre sans se perdre les développements du scénario et vibrer avec eux.
Et puis, pour un film de divertissement (j’hésite un peu à qualifier ainsi Les promesses de l’ombre mais enfin, c’est bien pour ça qu’on regarde ce genre de films, non ?), ça commence de façon redoutable : égorgement d’un quidam au rasoir chez un barbier ; il y aura aussi le découpage des phalanges dudit quidam (on n’est jamais trop prudent avec les empreintes digitales) et un féroce combat à la serpe dans le cadre incongru d’un hammam. Pour l’amateur, c’est très sympathique.
Le charme de Naomi Watts, la présence de Viggo Mortensen, la fluidité de Armin Mueller-Stahl (le chef de bande). Il n’y a guère que Vincent Cassel qui dénote et surjoue. Bon, excellent film de genre. Bien sûr les Anglo-Saxons comme Cronenberg affublent les Slaves de pulsions sauvages destructrices ce qui leur permet de faire partie du Camp du Bien. On se dit quelquefois qu’ils n’ont pas absolument tort.