Hollywood on Seine
Si l’on parvient à s’abstraire du simplisme et du moralisme étasuniens, si l’on a envie de ne voir qu’un joli conte en couleurs virevoltant et rythmé, interprété par un Gene Kelly époustouflant en d’Artagnan et, entre autres, un Vincent Price qui donne du cardinal de Richelieu une image fausse mais très intéressante, on n’a pas lieu de résister au charme de ce tourbillon hollywoodien. Surtout si l’on veut y trouver ce qu’on cherche, une chorégraphie légère, bondissante, parfaitement mise en scène.
J’ai peu souvenirs de films où les scènes de combats, de duels, de poursuites et de cabrioles aient été mieux filmées, plus virevoltantes, inventives, amusantes, sans manquer pour autant de la cruauté nécessaire qui sied aux panses transpercées et aux poitrines trouées par la pointe des épées. Où la variété des coloris pour tous les vêtements, pourpoints, soubrevestes, robes de cour et de ville, tenues chamarrées, plumetis des grands chapeaux des mousquetaires et des gardes cardinalices ne confinent pas aux enchantements des plus ravissantes comédies musicales de l’âge d’or. On rit, on frémit, on esquive, on prime, on seconde, on tierce, on quinte, on tue, tout cela dans de grands sourires, avec cette irrésistible bonne humeur qui devait apparaître aux producteurs étasuniens comme une sorte de pierre de touche de la civilisation française. (Sans doute ignoraient-ils que, depuis 1918, nous sommes devenus un peuple rabougri grincheux et frileux).
Le plus célèbre roman d’Alexandre Dumas n’est pas sa meilleure œuvre ; Le comte de Monte-Cristo lui est bien supérieur, en termes romanesques et il y a plus de profondeur dans les romans qui décrivent la société française immédiatement avant la Révolution (Joseph Balsamo, Le collier de la Reine, Ange Pitou, etc.) ou les horreurs des Guerres de religion (La Reine Margot, La dame de Monsoreau, Les Quarante-cinq). Et dans la trilogie des Mousquetaires, on peut largement préférer Vingt ans après, plus intense, plus intelligent, aux caractères plus complexes et plus subtils. Mais qu’on le veuille ou non, les noms de d’Artagnan, Athos, Porthos et Aramis demeureront immortels.
On peut, pour tordre le nez, regretter un peu que l’excellent George Sidney, qui a tout de même fait beaucoup mieux avec Scaramouche n’ait pas même essayé de faire valoir les caractères des quatre amis, réservant presque exclusivement son regard aux liens qui existent entre les deux premiers ; il est vrai qu’Athos, comte de La Fère porte la lourde douleur de demeurer le mari de Milady de Winter, marquée à l’épaule par la brûlure au fer rouge de l’indignité et exécutée par le bourreau dans une assez jolie séquence cruelle. Mais ni Porthos, ni (surtout) Aramis ne sont des comparses…
Bon ; on pourrait gloser des jours entiers sur le roman et les difficultés d’adapter un roman assez long (700 pages en Pléiade), plein de rebondissements et de péripéties rocambolesques (je suis conscient de l’anachronisme de l’expression) ; on pourrait aussi se demander pourquoi la grassouillette Lana Turner, qui fut une star sulfureuse et adulée a recueilli tant d’admirations de par le monde, alors que c’est une de ces blondasses lisses dont le cinéma a tant et tant usé (et réciproquement si je puis dire) ; regretter, donc, que Richelieu soit présenté en individu plus soucieux de ses propres triomphes qu’en ceux de la France (alors qu’il luttait à l’époque contre la coalition de l’Angleterre, de l’Espagne et de l’Autriche, appuyée par les éternels féodaux) et que c’est un des plus grands ministres qu’ait jamais compté notre État ; donner l’impression qu’entre Louis XIII, timide et sage et Richelieu il y avait plus qu’une feuille de papier à cigarette.
Mais surtout se moquer du puritanisme anglo-saxon (tellement visible chez un Hitchcock, par exemple), qui fait de Constance (June Allyson) la filleule et non l’épouse de Bonacieux (quoi ? d’Artagnan coucherait donc avec une femme mariée ? Quelle horreur ! C’est-y possible ?) et parallèlement fait déclencher d’une bousculade le duel que d’Artagnan engage avec Aramis en train de se vanter grassement d’une bonne fortune, alors que le roman montre un Aramis irrité parce que d’Artagnan a simplement ramassé un mouchoir parfumé… et dénonciateur.
Les bonnes manières, ça ne s’apprend plus. Mais c’est un bon film si l’on n’a pas le museau trop musqué.