La famille des cuivres.
Il est assez amusant de remarquer comment le cinéma britannique, qui était moribond à la fin des années 80 a sorti un pied de la tombe. Parce que malgré des succès publics ou critiques importants (Un poisson nommé Wanda de Charles Crichton en 1988, Le cuisinier, le voleur, sa femme et son amant de Peter Greenaway en 1989), l’attrait des studios étasuniens et la suppression par le gouvernement de Margaret Thatcher de réductions fiscales bénéficiant au tournage des films avaient conduit les studios à être désertés. Et chaque année, inéluctablement, le nombre des productions se réduisait comme peau de chagrin. Et cela nonobstant la qualité de réalisateurs comme James Ivory (retour à Howards End 1992, Les vestiges du jour 1993), Mike Newell, (Avril enchanté 1992) ou Kenneth Branagh (Beaucoup de bruit pour rien 1993).
Ce qui m’amuse donc, c’est que ce cinéma s’est un peu relancé sur la scène internationale en explorant deux pistes sociétales absolument différentes ; on pourrait même dire opposées. En 1994, la délicieuse comédie Quatre mariages et un enterrement de Richard Curtis, dans un milieu londonien huppé et plutôt snob – c’est l’Angleterre des banquiers et des traders – et, un peu plus tard Coup de foudre à Notting hill de Roger Michell qui se déroule dans un des quartiers les plus boboïsés de Londres. Et par ailleurs, en 1997, The full monty de Peter Cattaneo, qui se passe à Sheffield, la ville à la métallurgie dévastée et, un an auparavant, ces Virtuoses de Mark Herman où les mines de charbon de Grimley, dans les Midlands, vont fermer. Et là, c’est l’effarement des ouvriers et des mineurs qui avaient durement conquis un niveau de vie honorable et une certaine sécurité de l’emploi, leurs certitudes qui s’effondrent devant la méchanceté indifférente de la mondialisation ; ils ne sont bons qu’à entrer dans les poubelles de l’Histoire et sont priés de disparaître sans faire trop de chichis. C’est d’ailleurs là-dessus que s’est établie la notoriété de Ken Loach, qui y a constitué son petit fond de commerce de perpétuel (et talentueux) révolté.
The full monty est écrit sur l’idée amusante du groupe d’ouvriers qui, pour éclairer un peu leur vie quotidienne dans le Yorkshire désespérant, se déguisent en Chippendales. Pourquoi pas ? Mais me semble plus forte la perpétuation du Brass band des Virtuoses, la fierté de ces joufflus sympathiques qui soufflent dans leurs cornets, leurs trompettes, leurs tubas une ou deux fois par semaine sous la conduite impérieuse et exigeante de Danny (Pete Postlethwaite). Danny qui ne vit que pour que son Brass band remporte les tournois qui opposent rituellement les formations musicales anglaises.
La petite faiblesse du film est de se limiter absolument à ce défi que Danny lance et lance à ses amis de l’orchestre, celui d’aller jusqu’au bout (oui, bien sûr, il y a une minuscule intrigue sentimentale entre un garçon de l’orchestre, Andy (Ewan McGregor) et la très gracieuse Gloria (Tara Fitzgerald), fille de la mythique cheville ouvrière de l’orchestre et, accessoirement, auditrice ou contrôleur de gestion pour une société choisie afin de donner des justifications techniques à le fermeture des mines ; c’est-à-dire, pour être clair, de rédiger un rapport plein de chiffres, de courbes et d’histogrammes que l’on pourra présenter à des décideurs qui n’en liront pas la moindre page.
Mais si le scénario est un peu atone et sans surprise, il permet aussi de belles incursions dans les imaginaires de ces mineurs braves gens, rudes au mal, qui ont des joies et des plaisirs simples et à qui on a coupé l’avenir. Écrivant ceci, je m’interroge : pouvait-on, devait-on tirer un trait sur le charbon, qui fut orgueil et prospérité, source de puissance et d’argent, pourvoyeur d’innombrables emplois et qui n’est plus rien aujourd’hui qu’une survivance mal vue et un symbole de la pollution du monde ? Qui pourrait être, là-dessus, autre chose qu’une guerre civile ?
Le cinéma, qui est sans doute l’industrie culturelle la plus mondialisée, ne cesse de nous offrir des films qui nous envoient en plein visage ce que l’on a appelé l’horreur économique ; il n’en est pas, c’est vrai, à une contradiction près et j’ai bien dit par ailleurs que ceux qui la dénoncent avec talent ne négligent pas d’aller participer, à Cannes et ailleurs, aux agapes bien-pensantes de ceux qui s’en mettent plein les fouilles grâce à la division internationale du travail et à la mise, ou remise en esclavage de peuples entiers.
Voilà qui est peut-être un peu grandiloquent pour parler d’un film aussi simple. Comme le sont les gens qui s’y montrent et dont il reste de moins en moins.