Loufoque, lunaire, poétique, original, tendre et gentil, j’admets bien volontiers tous les qualificatifs qu’on a donnés à L’étrange désir de M. Bard. Sûrement dix minutes ou un quart d’heure de trop, comme souvent mais la patte habile de René Barjavel, romancier de grande imagination mais aussi homme-protée du cinéma français des années 50 (les Don Camillo, Les chiffonniers d’Emmaüs, L’homme à l’imperméable, Le cas du Docteur Laurent et bien d’autres films adaptés ou dialogués).
Mais gentil précisément, peut-être un peu trop. Et c’est la limite de ce genre. Comment expliquer cela ? En disant tout simplement que les films d’émotion, où de braves gens connaissent les vicissitudes de la vie, ses chagrins et même ses drames devraient pouvoir rester intacts des réalités sordides. Lorsque vous regardez Les quatre filles du docteur March, Goodbye Mr. Chips ou Le château de ma mère, où, au milieu de paysages tendres, la mort frappe à un moment donné certains des personnages, vous vous devez d’être ému devant la douceur et la tristesse de l’existence. Mais dans ces films là, hormis la Fatalité, il n’y a rien qui vienne troubler la douceur des affections.
Mais prenez L’étrange désir de M. Bard et vous avez au moins deux sujets poignants : la laideur physique et la rapacité familiale. Et le film de Géza von Radványi les traite par dessous la jambe alors qu’ils sont bien plus intéressants que tout le reste.
La laideur physique, qui fait reculer les filles et qui a empêché Auguste Bard (Michel Simon) de jamais nouer la moindre intrigue, de conter la moindre fleurette. Voilà un thème qui n’a pas vraiment pas très souvent abordé au cinéma et qui est pourtant si évident dans les relations humaines. Si l’on fait exception des infirmités et monstruosités à la Elephant man, je ne vois guère qu’Adhémar qui ait eu une toute petite orientation (vite abandonnée dans le courant du film) pour évoquer ce drame de ceux qui révulsent leurs semblables. Difficulté de trouver des acteurs vraiment laids ? Va savoir ! Comment ne s’est-on que rarement servi du visage particulier de Daniel Emilfork pour essayer de représenter la tristesse des laissés pour compte ?
La rapacité familiale est un peu mieux servie. Je recommande à qui ne les ont pas vus les excellents Meurtres de Richard Pottier, avec un Fernandel admirable, mais aussi le meilleur film de Christian-Jaque, Un revenant, avec un Louis Jouvet au plus haut. Et il y a bien d’autres histoires de famille gluantes.
Radvanyi a ce joli matériau sous la main : un immense acteur très laid, Michel Simon et autour de lui d’excellents comparses, menés par un excellent Henri Crémieux et un Louis de Funès plus maîtrisé que de coutume, tout prêts à lui mettre la tête sous l’eau. Il dispose même d’une Geneviève Page que sa beauté ambiguë et sa voix grave peuvent facilement incliner vers les pires turpitudes et trahisons. Voilà qui pourrait confectionner un drame bien intéressant.
N’en demeurera qu’une comédie sympathique et insignifiante, un peu niaise sur la fin, lorsque la larmichette surgit, le brave millionnaire cardiaque Auguste s’éteignant au moment même où naît son enfant, ce qui va permettre à la maman (Geneviève Page, donc) de refaire sa vie, nonobstant le marmot, avec un garçon de son âge. Tout cela n’étant pas explicite mais évident.
Émotion, quand tu nous tiens !