Bel ouvrage, agréable découverte.
Ah, voilà un film plein de charmes et de défauts, quelque chose qui m’a surpris et séduit lors de sa découverte et que je placerais volontiers dans une liste des films méconnus mais de grande qualité des années 50, au milieu de L’homme aux clés d’or, de Meurtres, de L’air de Paris…
Mais faisons d’abord les critiques !
J’ai du goût pour les films qui se déroulent dans le petit milieu clos des Pensions de famille, forme d’hébergement qui eut son heure de gloire, si je puis dire, aux siècles derniers (souvenons-nous de la Pension Vauquer, du Père Goriot où Rastignac débarque venant d’Angoulême) mais qui n’existe plus guère aujourd’hui (une seule, à Paris, à ma connaissance à Paris, Les Marronniers, au coin de la rue d’Assas et de la rue Vavin). Et le meilleur des exemples, c’est naturellement L’assassin habite au 21. Mais je trouve que les réalisateurs n’exploitent pas très bien, à part Clouzot donc, ces microcosmes souvent crapoteux : c’est le cas dans L’homme du jour, pourtant de Julien Duvivier et tout autant dans Leur dernière nuit où, sitôt les pensionnaires découverts et croqués sur le vif, ils disparaissent trop vite de l’écran.
Puis il y a une histoire certes étrange, mais présentée avec certaines maladresses et, dans plusieurs de ses aspects, terriblement artificielle. Une jeune femme de Limoges qui se réfugie à Paris et dont on apprendra bien plus tard qu’elle et son mari sont drogués, c’était alors un sujet de société plausible. Un médecin issu d’un milieu modeste de l’Angoumois radié de l’Ordre à la suite d’une histoire poisseuse mais peu claire d’avortement clandestin, c’est assez cohérent dans l’esprit des années 50. Que ces deux personnages en fuite se rencontrent et s’aiment, c’est également dans la logique romanesque des choses.
Mais que le docteur Pierre Ruffin (Jean Gabin), avec une couverture de bibliothécaire lettré soit, en fait, un gangster redoutable, ait pu s’imposer dans le Milieu et y avoir une stature presque comparable (j’exagère) à celle que le même Gabin (Max le menteur) détiendra, un an plus tard dans Touchez pas au grisbi, voilà qui ne va plus guère et dont l’invraisemblance gêne.
Malgré tout cela, je n’ai pas du tout décroché d’une intrigue bien rythmée et d’un film dont plusieurs séquences sont très prenantes.
Ainsi la visite domiciliaire au coiffeur recéleur (Jean-Jacques Delbo) qui tente de fuir la juste colère et la vengeance de Ruffin en escaladant le toit en zinc d’un cinéma de quartier où l’on passe un western : et donc la musique allègre des chevauchées étasuniennes en contrepoint de la glissade fatale du complice déloyal… J’ai songé à la ritournelle qui accompagne le meurtre de Régis (Fernand Charpin) l’indic de Pépé le Moko… aussi à la chute de Michel Simon dans Panique. Ainsi la traque de Ruffin par la police dans l’étrange atmosphère nocturne du port de La Bourdonnais. Et l’extrême fin du film qui est une réussite avec le désarroi et le désespoir de Madeleine Marsan/Madeleine Robinson, bien belle et extrêmement mal fagotée.