« La dénigrer mais tâcher d’en faire partie » (Flaubert)
Déjà si L’habit vert n’était qu’une critique spirituelle, acerbe, narquoise des us et coutumes de l’Académie française et singulièrement de ses luttes électorales, ce serait déjà délicieux. Mais en plus c’est un vaudeville très amusant, très bien troussé, très vif, très enlevé sur les hypocrisies élégantes du Monde. Le Grand monde, le Beau monde. Au fait je considère, à l’encontre des rêveurs de la Gauche bien pensante, que ces hypocrisies sociales sont à peu près exactement partagées entre toutes les classes sociales ; seulement comme certaines sont beaucoup plus gracieuses et mieux élevées, leurs petits arrangements avec la morale sont davantage visibles. De toute façon, taper sur la Haute société donne toujours une sorte de délectation morose revancharde à qui n’en est pas tout en rêvant d’y être, comme le montre le succès des publications consacrées aux familles princières.
L’Académie d’abord. Certes, ce n’est plus grand chose maintenant et le Secrétaire perpétuel, Mme Hélène Carrère d’Encausse a bien du mal à y susciter des candidatures de qualité. D’ailleurs l’institution vient de céder à la hargne des hyènes du politiquement correct et de capituler sur l’absurde, ridicule, grotesque, infâme féminisation des titres, qu’elle admet désormais (certes du bout des lèvres, mais c’est déjà trop). N’empêche que, pendant longtemps l’Académie a été le rêve de beaucoup de grands esprits et qu’elle a constitué, aux meilleures de ses époques, un tableau assez noble et bien mordoré de l’élite de notre pays.
On se moque beaucoup, quelquefois à juste titre, que beaucoup des Immortels nous soient inconnus. Sans doute depuis 1635, la plupart ont basculé dans l’oubli. Comme tant de choses ; qu’on se penche sur la liste des Prix Goncourt depuis 1903, comme une palanquée de films depuis 1895… Mais il est vrai qu’on peut se moquer ; souvenons-nous de la première scène de Cyrano où le bourgeois qui a emmené son garçon à l’Hôtel de Bourgogne pour voir jouer ce Montfleury qui sera souffleté par le héros, lui montre les Académiciens présents :
Le jeune homme, à son père.
L’Académie est là ?
Le bourgeois.
Mais… j’en vois plus d’un membre ;
Voici Boudu, Boissat, et Cureau de la Chambre ;
Porchères, Colomby, Bourzeys, Bourdon, Arbaud…
Tous ces noms dont pas un ne mourra, que c’est beau !
C’est sur une scène du même acabit comique que commence L’habit vert à quoi je viens enfin. Pinchet (Pierre Larquey), secrétaire général de l’Académie (qui paraît donc n’en être pas, contrairement au Secrétaire perpétuel) présente à son fils (Bernard Blier), promis à lui succéder, les bustes d’illustres inconnus, dont il faudra qu’il connaisse sur le bout du doigt nom et carrière. Puis nous sautons auprès du chef du parti réactionnaire de l’Académie, le duc de Maulévrier (André Lefaur), dans sa magnifique demeure de Normandie. Le duc est marié avec une gracieuse créature évaporée et désinvolte, dotée d’un fort tempérament (Elvire Popesco), dont l’amant vient de se marier et qui reçoit, de ce fait, les condoléances de ses amis, navrés de la rupture d’une liaison connue et acceptée comme un des exercices obligés de la vie mondaine.
Le film, qui suit assez fidèlement la structure de la pièce de Robert de Flers et de Gaston de Caillavet alterne donc avec beaucoup d’habileté entre deux intrigues qu’il parvient à lier : les mésaventures amoureuses de la Duchesse, dont le cœur est vaste et exalté et qui s’amourache du comte Hubert de Latour-Latour (Victor Boucher) et l’élection à un siège vacant parmi les Quarante où Latour-Latour sera élu précisément pour son absence de toute qualité particulière, sur son simple état d‘Homme du Monde.
C’est extrêmement bien écrit, plein de formules et de mots cinglants, drôles, spirituels, les péripéties s’enchaînent sans aucune lenteur. Et le réalisateur Roger Richebé parvient à filmer la cavalcade avec talent. Il est vrai qu’il est parfaitement secondé par une troupe d’acteurs admirables.
Si je ne suis pas absolument émerveillé par Elvire Popesco, qui en fait toujours un peu trop, comme il est vrai le voulaient les rôles qu’on lui confiait, j’ai été très séduit par Meg Lemonnier, petite secrétaire piquante. Chez les hommes, c’est bien une des rares fois où j’ai trouvé Jules Berry un peu pénible dans le rôle du musicien farfelu Parmeline, ancien amant et toujours confident de la Duchesse. Pierre Larquey n’a jamais rien raté et Victor Boucher met beaucoup d’esprit dans son personnage d’imbécile. Mais André Lefaur, Duc de Maulévrier qui se porte bien domine la distribution et montre l’étendue de son talent…
Ah, au fait… Notons qu’Edmond Rostand fut élu Quai de Conti 4 ans après Cyrano, que Robert de Flers le fut en 1920, huit ans après L’habit vert et que Gaston de Caillavet l’aurait certainement été s’il n’avait eu la mauvaise idée de mourir en 1915. D’ailleurs sa mère était l’égérie d’Anatole France, lui-même Immortel depuis 1896. Tout cela pour dire la relativité des moqueries.