Lost Highway

Où suis-je ?

Les points de vue très intéressants développés ici et là par les passionnés nous laissent de toute façon désemparés : qu’est ce qu’il y a dans les films de David Lynch, qu’est-ce qu’il y a dans Lost Highway pour nous décontenancer autant et nous fasciner autour d’histoires qui n’ont ni début, ni fin, ni cohérence, ni raison, et qui nous paraissent pourtant, malgré la part faite à l’irrationnel, si ancrées dans un des cercles de notre réalité ?

Je crois que tout Lynch est dans la structure du rêve ; cauchemar assez souvent, mais davantage encore cet état où le cerveau saturé construit, bâtit, édifie des sortes de fulgurances, de scènes où la cohérence immédiate est impeccable mais où les liaisons entre les scènes sont troubles, ambiguës, incertaines. En d’autres termes, chaque séquence a sa logique, chaque étage son équilibre mais l’immeuble bouge.

Il y a eu des dizaines de pages, des dizaines de gloses consacrées à Lost Highway, aux incertitudes du récit, aux bouleversements stupéfiants qui entraînent les personnages à l’intérieur de leurs propres angoisses : tout est vrai, tout est exact ! On peut sans crainte d’être démenti, avoir tous les points de vue possibles sur cette errance cruelle : on ne m’ôtera pas de l’idée que c’est le cheminement hypnotique qui ouvre le film et le ponctue à plusieurs reprises, cette course éperdue sur une route noire, où défilent à toute allure, les lignes discontinues, fascinantes qui sont comme la marque du Destin et qui, mieux que toute autre image, marquent la perte des repères subie par les protagonistes.

Lignes de fuite, parallèles qui finissent par se croiser, comme le font les histoires enchevêtrées de Fred Madison/Pete Daymon (Bill Pullman/Balthazar Getty) et de Renée Madison/Alice Wakefield (Patricia Arquette), absolument remarquable et tout à la fois angélique, venimeuse, vénéneuse, diabolique), tout cela sous le regard démiurgique de l’Homme-mystère (Robert Blake) qui ne s’affuble des oripeaux du Vampire traditionnel que pour mieux montrer qu’il s’imbibe de tous les sangs et de toutes les vies. Il joue à avoir besoin d’être invité, comme le code figé par Bram Stoker le prescrit, mais il n’en a pas vraiment besoin puisque c’est lui qui finalement fixe le rythme des découvertes et les rend de plus en plus terrifiantes.

Plongée à l’intérieur d’une schizophrénie jalouse, comme on l’a beaucoup écrit, ou broderie haletante sur une frise de réalités ? Va savoir ! Ce qui est importe, chez Lynch, ce n’est évidemment jamais le montage scrupuleux d’une histoire où l’on découvrirait, en fin de compte, une réalité à usage unique, mais une série d’expériences usantes, épuisantes, violentes qui laissent les nerfs à vif et l’insatisfaction à l’esprit.


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