Foule sentimentale.
Je suis bien embêté de ne pas pouvoir entrer franchement dans le concert de louanges dispensé ici et là sur le premier film significatif réalisé par Ken Russell, film qui, en plus d’un succès de scandale sans importance, reçut un accueil critique et public très chaleureux. Je n’ai aucune prévention contre le réalisateur et ses extravagances et outrances. À sa sortie sur les écrans, j’avais été emballé par La symphonie pathétique, récit romancé violent de la pauvre existence du grand compositeur Piotr Tchaïkovski (un peu déçu, en le revoyant en DVD il y a quelques années, il est vrai). Les diables tonitruant, choquant, agressif ne laissaient pas indifférent, mais faisaient craindre une dérive, malheureusement constatée avec Mahler puis Lisztomania. Puis plus rien ou presque pendant trente-cinq ans, jusqu’à la mort en 2011 : un réalisateur singulier, mineur mais intéressant.
D.H. Lawrence, romancier anglais auteur de Women in love que Russell a adapté sous le nom unique de Love est connu avant tout pour être l’auteur de l’inusable Amant de Lady Chatterley, qui a donné lieu à quatre ou cinq réalisations cinématographiques qui se focalisent sur la frustration sexuelle féminine aux temps du puritanisme britannique. Est-il excessif d’écrire que les deux jeunes sœurs Gudrun (Glenda Jackson) et Ursula Brangwen (Jennie Linden) ont, comme Lady Chatterley, l’envie d’envoyer valser leurs jupons et de faire tourner les moulins pour échapper à la gangue petite-bourgeoise sans bien savoir ce que leur liberté durement conquise leur apportera ?
Autant le dire, je me suis continûment et copieusement ennuyé en regardant Love, que je découvrais cinquante ans après sa réalisation. Eussé-je vu le film lors de sa sortie, en 1969, peut-être aurais-je apprécié – le climat était propice – ce vagabondage à la recherche d’une liberté sexuelle à qui on demande, sans trop y croire, une sorte de développement personnel et le chemin du bonheur. Comme on ne se pose qu’en s’opposant, contre les valeurs, réelles ou supposées de la société ancienne, on va chercher ici et là, d’une façon qu’on croit hardie et qui n’est que lassante, les clés de son avenir.
Donc les deux sœurs Bangwen fricotent à qui mieux mieux avec deux amis de leur âge, le riche fils d’industriel Rupert Birkin (Alan Bates) et l’universitaire Gerald Crich (Oliver Reed). Elles sont issues de la petite bourgeoisie, qui est bien heureuse, dans cette contrée minière du nord de l’Angleterre, de ne pas avoir à gagner sa vie en piochant ou en triant le charbon. Rencontre avec les deux amis Birkin et Crich. Jusque là, je suis parvenu à suivre le récit ; mais nous devons être arrivés au bout des trente premières minutes d’un film de deux heures. Que va-t-il survenir ensuite ?
Je suis pourtant persuadé de ne m’être pas endormi durant la projection (soyons honnête : oui, la chose m’est déjà arrivée, mais là j’atteste que non). Et pourtant, la tête sur le billot, je serais bien en peine de raconter ce qui se passe. Je crois avoir compris que Crich/Reed se marie avec Ursula/Linden et que, parallèlement Birkin/Bates et Gudrun/Jackson engagent une liaison qui ne paraît satisfaire ni l’un, ni l’autre. Je me souviens que lors d’un mariage un couple amoureux (mais qui sont-ils, au juste ?) se noie. Je me rappelle avoir vu la lutte amicale des deux hommes, Rupert et Gerald, totalement nus, à la lueur d’un foyer dans la cheminée ; au juste, pourquoi se sont-ils dénudés ? pourquoi se battent-ils ? La scène a fait scandale et doit durer cinq minutes maximum…
Ensuite tout le monde part à Zermatt, en Suisse, sous le mont Cervin. Le couple légitime s’ennuie énormément et repart vers la verte Angleterre. Je ne sais plus ce qu’il arrive des autres amoureux (et d’ailleurs s’ils s’aiment encore). Ils meurent peut-être à la fin. Ou l’un d’entre eux. Ou aucun. Je crois me souvenir que Gudrun dit à Rupert qu’elle n’aime pas qu’il lui fasse l’amour parce qu’il la prend sauvagement. De ce fait, il lui saute dessus, la violente à demi et elle en parait satisfaite. C’est sans doute ce qu’on appelle la finesse d’exploration des sentiments amoureux.
Je suis tellement perdu devant ce que j’ai trouvé être une inanité absolue que j’envisage de me repasser Love sous peu. Il est possible que je sois tombé à un moment donné en catalepsie ; dans ma longue expérience de spectateur, j’ai connu fort peu de sensations semblables : une absence totale d’intérêt.