Le Temps détruit tout.
On reproche à Gaspar Noé, souvent avec pertinence, une myriade de tics, d’habitudes, d’obsessions, une volonté de bousculer le spectateur, de le choquer, de le mettre supérieurement mal à l’aise. Et de fait on ne voit pas dans ses films apparaître le mot Fin (toujours écrit en très gros sur l’écran) sans respirer un peu mieux, sans être soulagé d’avoir porté sur ses épaules la masse des malheurs, des haines, des violences, des cruautés, des injustices et des malchances que le cinéaste présente et accumule. Avec une grande complaisance, aussi, pourra-t-on dire, et on n’aura pas tort. La vie est lourde à vivre et le Temps détruit tout, voilà à peu près la morale de ses histoires. Rien de léger, seulement du pesant, un pesant insupportable.
Un autre reproche est la négligence que Noé porte au récit, filmant tambour battant des œuvres lourdes sur des scénarios qui pourraient tenir en deux lignes et demie. Et de fait il n’est pas impossible que ce qu’il ait fait de mieux soit le diptyque Carne et Seul contre tous, cette histoire de boucher triste, obtus et attachant qui fait conneries sur conneries jusqu’au pire. Parce le scénario d’Irréversible n’a d’autre intérêt – mais il en a beaucoup ! – que la violence de son propos, son montage habilement inversé, sa brutalité et cet aspect parfaitement dérangeant qui a fait abominer le film par tous les critiques du Camp du Bien et de la Gauche caviar.
Seulement peut-on renouveler à tout coup l’intérêt de ce genre construit exclusivement de coups de poing dans la figure et de grands bols d’amertume ? Je me le demande encore plus après avoir vu Love, qui a fait un peu de bruit, du fait de l’abondance et la crudité des scènes de sexe non simulées, mais où on se demande à part ça en quoi peut résider son intérêt. La question essentielle que l’on peut, ab initio se poser, est l’intérêt d’en montrer tant et autant là où ça ne s’impose pas pour la cohérence du discours.
Entendons-nous bien : dût la chose faire regimber, je tiens le Caligula de Tinto Brass et Bob Guccione pour un film extrêmement intéressant, malgré ses scènes pornographiques, parce que ces scènes montrent, avec complaisance mais véracité et clarté toute la tristesse de la décadence romaine ; en ce sens-là, elles se justifient et contribuent à ouvrir la connaissance du spectateur sur un monde et une époque veules. Mais Love, à un moment où la sexualité, sous toutes ses formes et dans tous ses excès et toutes ses dérives font florès ? Murphy (Karl Glusman) est venu des États-Unis à Paris pour étudier le cinéma. À l’occasion d’une bringue juvénile au parc des Buttes-Chaumont, il rencontre Électra (Aomi Muyock) qui vient d’on ne sait trop où et se croit artiste peintre, puisqu’elle est aux Beaux-Arts et qu’elle a un amant galeriste, Noé (Gaspar Noé lui-même). Leur découverte mutuelle, cette attirance immédiate qui les porte l’un à l’autre est un des plus intéressants moments du film. Très vite c’est la passion, le jeu des corps, le besoin si puissant de se découvrir.
Écrivant cela, je me dis qu’il faut bien que j’indique que Love est bâti sur une structure temporelle très éclatée, nourrie de flashbacks, de plongées dans les souvenirs, de réminiscences qui s’insinuent dans la tête de Murphy, réveillé un matin de 1er janvier par un appel de Nora (Isabelle Nicou), la mère d’Électra, Électra qui n’a plus donné signe de vie depuis deux mois. Et Murphy est alors étendu à côté de Omi (Klara Kristin) et un nourrisson pleure dans la chambre à côté… Car Électra, droguée, dépressive et suicidaire est partie parce que Murphy avait, du fait d’un préservatif éclaté, fait cet enfant à Omi sur un coup de désir, Omi partagée avec Électra lors de la réalisation d’un fantasme trioliste.
Je ne dis pas que tout cela est invraisemblable ; je ne dis pas même que le sujet n’était pas pertinent ; je m’interroge sur la volonté de Noé, exprimée par Murphy, qui est évidemment la représentation du réalisateur lui-même, de réaliser un film avec du sexe et des sentiments. Difficile gageure traduite par des scènes de sexe explicites tellement nombreuses qu’on en prend vite ennui, malgré la beauté des partenaires qui fait qu’on n’en est pas trop dégoûté, mais qui fait aussi qu’on utilise la télécommande par lassitude et pour passer à autre chose.En conjuguant à cette lourdeur qui se voudrait torride mais qui à la longue est bien ennuyeuse la manie de Noé d’insérer à tout moment des coupes brèves, dont on ne voit pas la nécessité, on aboutit à un film agaçant, larmoyant et qu’on pourrait même dire infantile si le sujet n’interdisait pas d’employer cet adjectif.
La chair est triste, quoiqu’on veuille en trop montrer, non pas parce qu’on en montre trop, mais parce qu’on la montre sans raison.