La chair est triste, hélas…
Si les deux actrices principales, Paz Vega et Elena Anaya, n’étaient pas l’une et l’autre dotées de corps superbes souvent non dissimulés et quoique la première nommée n’ait pas un bien joli visage, j’aurais certainement mis une note encore inférieure à ce film fourre-tout , film dont le titre roublard a sûrement été imposé pour attirer le chaland. Je n’ai rien contre la beauté féminine, bien au contraire, et de jolies anatomies dénudées n’ont rien pour me choquer, encore moins me déplaire. Après tout, si le Bon Dieu a fait la femme si harmonieuse, c’est qu’Il avait d’excellentes raisons et que nous serions bien hypocrites, bien cagots, bien médiocres de nous affliger de cette beauté, qui n’est pas plus scandaleuse que celle des mers et des montagnes.
Mais ce qui me semble plus douteux, c’est d’utiliser le pouvoir érotique de ces corps n’importe comment, pour éveiller le cochon qui sommeille, pour faire, à certains moments, relever la paupière qui s’alourdit devant un gloubi-glouba mal fichu où s’accumulent sans maîtrise plusieurs thèmes et plusieurs orientations. Qu’une femme, Lucia (Paz Vega), se laisse emporter par la mémoire de son amant disparu, de ce qu’il pouvait écrire et songe, au fil de ses rêves et de ses fantasmes qui mêlent illusions, souvenirs, bifurcations oniriques à ce qui est arrivé, à ce qui aurait pu arriver, à ce qui arrivera n’est pas, en soi, une orientation absurde et mérite même une sympathie du spectateur devant la difficulté du projet. Mais pour maîtriser cela il faut une grande maestria et beaucoup plus d’habileté que ne semble en disposer le réalisateur Julio Medem.
J’ai lu quelque part une formule : pour peu qu’on soit d’humeur, le film se voit avec plaisir ; n’étais-je pas d’humeur ? ne suis-je pas parvenu à entrer dans ce capharnaüm d’images et d’idées qui détruit, qui déconstruit même le récit traditionnel et fait qu’on ne sait plus bien ce qui est fiction et réalité ? Possible. Là encore, je répète que je ne suis pas ennemi des films énigmatiques et que je ne suis pas du tout rebuté par les films interrogatifs de David Lynch, par exemple, qui ouvre de nombreuses portes, trace de nombreuses pistes et laisse au spectateur le soin de s’y dépatouiller. Mais la limite à cette ambition – tout à fait respectable, j’en conviens à nouveau bien volontiers – est qu’il est impératif de se tenir à un niveau de haute qualité.
Ce n’est pas parce que je n’ai rien compris à l’intrigue que le film m’a déplu : c’est parce qu’il ne m’a pas entraîné dans son propre rêve, parce que je ne suis jamais parvenu à suivre ses chemins, fût-ce quelques minutes. Alors, de temps en temps, une scène à la limite de la pornographie intervient et on se demande où on va basculer, dans quel genre de films. Puis ça s’arrête, aussi soudainement que c’était venu ; bon, on s’est rincé l’œil avec de jolies filles toutes nues, mais on n’en a pas même été troublé tant on n’est pas entré dans la tension toute cérébrale qui définit l’érotisme, mais qu’on est resté dans l’exhibition nullement impure mais toujours simple d’une sexualité mécanique ; ce qui est aujourd’hui la chose la plus simple à montrer au cinéma.