Je me souviens encore de la mine dépitée de ma mère lorsque, en 1957, nous sommes sortis de la salle qui projetait Mais qui a tué Harry ?. C’est que, férue des films à suspense d’Alfred Hitchcock elle avait été complètement décontenancée et très déçue par cette comédie noire ironique qui est une singularité dans l’œuvre du gros bonhomme. Sans vouloir trop manier le paradoxe, j’ai été, presque soixante ans plus tard, plutôt moins agacé que je ne m’attendais à l’être : sans doute est-ce dû à la beauté calme des paysages du Vermont au cœur de l’automne : l’érable rougeoyant, jaunissant, brunissant est, depuis toujours un très bel argument de séduction.
Pour le reste, j’ai retrouvé ce goût très anglo-saxon pour le macabre et le sarcastique qui peut être absolument délicieux comme dans Noblesse oblige ou simplement drôle comme dans Arsenic et vieilles dentelles mais qui exige un scénario très solidement bâti.
Mais qui a tué Harry ? est adapté d’un roman d’un certain Jack Trevor Story, auteur de policiers d’humour noir, genre que je pratique peu, sûrement à tort. Un roman, donc, alors que j’aurais juré que le scénario était issu d’une pièce de théâtre parce que tous les procédés de la scène – ceux qui font crouler de rire les spectateurs bons enfants – s’y retrouvent : petit nombre de personnages, confinement dans un nombre limité de lieux, invraisemblances diverses, récurrence des situations comiques, procédés directement imités de Guignol (le policier qui, pourtant suspicieux, ne découvre pas ce que tout le monde craint qu’il voie : le cadavre allongé dans la baignoire).
C’est bien lié, bien mené, mais plein de personnages archétypiques et un peu falots, d’autant que les acteurs choisis sont de parfaits inconnus, sûrement de deuxième ou troisième plan (j’excepte naturellement de mon propos Shirley MacLaine, dont ce fut le premier rôle et qui est déjà agréablement acide) et que leurs interactions sont aussi prévisibles que Mars en Carême. Certes le tutoiement cynique avec la mort qui est la trame du film peut s’accommoder de ces figures sans épaisseur, chacune confinée dans son type romanesque (la vieille fille qui n’a pas l’intention de le rester, le (faux) loup de mer râleur, la jeune mère très disponible, le charmeur peintre désintéressé, l’épicière grognonne et maternelle). Mais on se lasse vite.
Quelques dialogues sont amusants, d’autres graveleux, comme toujours chez Hitchcock : ainsi le peintre (John Forsythe) au capitaine (Edmund Gwenn) qui vient de lui indiquer qu’il a été invité à goûter chez la bréhaigne (Mildred Natwick) : Vous allez être le premier à franchir son seuil !. Mais au final, c’est tout de même une pochade qui aurait été depuis longtemps oubliée si elle n’avait été signée par Alfred Hitchcock.