Le film de Willy Rozier est d’une parfaite nullité, mais il n’est pas désagréable à regarder et, pour qui s’intéresse à l’histoire du cinéma, il ne manque pas de qualités informatives. Au fait, Willy Rozier, qui est-ce ? Un de ces stakhanovistes qui vous troussaient un bon petit spectacle d’une heure et demie en quelques semaines et pour guère de sous, un petit truc qui passait dans les salles pendant quelques jours et qui bon an, mal an, permettait au producteur de rentrer dans ses frais, aux acteurs d’être convenablement rémunérés et aux spectateurs de passer une soirée bon enfant avant de rentrer dans son appartement exigu, mal chauffé et aux toilettes sur le palier.
À ces spectateurs-là, il fallait donner des choses simples ; du rire ; ou de l’action ; ou du rêve. Et surtout de charmants jeunes gens, belles filles et beaux garçons, dont le cheptel était aussi peu rare qu’aujourd’hui. En mixant tous ces ingrédients, on arrivait à quelque chose ; et en plus, on pouvait ajouter ici et là des épices. Dans Manina, la fille sans voile, on en a deux pour le prix d’un : d’une part la beauté de la Corse, d’autre part, l’exploration sous-marine. Quatre années avant Le monde du silence de Jacques-Yves Cousteau (et de Louis Malle), le parigot ou le banlieusard qui n’avait jamais vu la mer qu’à Étretat ou à Dieppe découvrait la somptuosité bizarre des fonds méditerranéens, les algues, les coraux, les poissons indifférents (qu’on pêchait alors sans contrainte ni limite).
Et lorsqu’on pouvait aussi découvrir (ah ah ah) un beau brin de fille, qui tournait là son deuxième film (après Le trou normand) et son premier en tête d’affiche, avant de devenir une étoile mondiale. Une étoile qui ne brillera qu’une vingtaine d’années (mais avec un éclat inaccessible aux actrices d’aujourd’hui) et dont le dernier film (L’Histoire très bonne et très joyeuse de Colinot trousse-chemise de Nina Companeez) est sorti en 1973, soit près d’un demi-siècle. C’est à des prises de conscience de ce type qu’on se rend compte que le temps passe, non ?
Le début est très amusant : dans un amphithéâtre de la Sorbonne, presque vide (c’était au temps où tout le monde comprenait que les études supérieures étaient – précisément – supérieures), un des rares étudiants qui écoutent le cours apprend qu’un trésor est possiblement englouti au large des îles Lavezzi. Cet étudiant d’appelle Gérard Morère et quelques années auparavant, lors d’une plongée, il a fortuitement découvert une partie d’amphore. Morère, c’est Jean-François Calvé, un de ces comédiens qui n’étaient pas loin de faire carrière, à qui il n’a pas manqué grand chose, qui étaient à deux doigts de… etc. Il se dit qu’il y a un beau coup à jouer et des millions à récupérer. D’une façon assez funambulesque, il se lie, à Tanger (!), avec Éric (Howard Vernon, qui a vraiment joué tout et n’importe quoi), un aventurier, trafiquant de cigarettes qui possède un bateau et qui va financer l’exploration.
Arrivée au large d’une des îles Lavezzi, retrouvailles avec la fille des gardiens du phare, Manina (Brigitte Bardot) qui avait 13 ans lorsque Morère était passé par là, qui en a désormais 18. On devine la suite, d’autant que la jeune fille est particulièrement gironde. L’esprit de l’époque n’aurait pas pu admettre davantage que l’exhibition assez fréquente, de Manina en bikini, mais cela suffisait, assurément à assurer au film une réputation un peu sulfureuse qui, aujourd’hui paraît bien usurpée.
Tourné avec trois francs, six sous, le film a une petite partie musicale, qui se veut exotique : l’habituelle espagnolade glougloutée par Espanita Cortez et des susurrements corses censés être débités par Bardot mais playbackés par deux chanteuses différentes. C’est dire si Manina est un produit très artisanal, brut de décoffrage et qui pourtant – j’y reviens – laisse une toute petite trace dans le cinéma français.