Marius

Oh là là !

Je dois couver quelque chose en ce moment. Qu’est-ce qui peut, sinon, expliquer qu’en quelques jours je me sois livré à une sorte de délectation morose en visionnant deux nullités majuscules, l’une prévisible, Un amour de Frankenstein, l’autre évidente, le Marius de Daniel Auteuil, qui s’escrime à esquinter la bonne réputation d’acteur acquise au cours des trois dernières décennies en salopant l’œuvre de Marcel Pagnol.

Car, avant Marius (et Fanny, que je n’irai évidemment pas voir, et César, qui ne sortira vraisemblablement pas, en raison de l’échec du diptyque initial), Auteuil, qui doit sincèrement aimer Pagnol, mais le sert bien mal, avait déjà tourné une resucée de La fille du puisatier, rapidement engloutie dans un oubli bon garçon… On me dira que ce n’est pas plus mal que l’acteur dépense ses picaillons à tourner des films français plutôt qu’à acheter des montres suisses, mais ça ne résout rien.

291610_9aab227a7948e9680de0ebc38328423eMarius est un film triste et sale. Et laid. Mais laid ! D’une laideur terrible et bien triste… Une image, une lumière parmi les pires que j’aie jamais vues au cinéma, alors que Marseille est un trésor de photogénie, comme Guédiguian le montre si souvent. Mais Marseille est absente de son film, presque entièrement tourné en studio, avec peu de moyens, dans un carton-pâte bien minable et bien parcimonieux. Je veux bien qu’il était presque impossible, dans la ville d’aujourd’hui, sur le Vieux Port d’aujourd’hui de filmer un récit se déroulant au début des années 30 : trop de modernités et d’enseignes agressives à gommer ; je veux bien, mais les astuces numériques contemporaines permettent davantage que ce qu’Auteuil a commis.

Ceci est reproche véniel. J’ai souvent ici et là écrit qu’il y avait des films qu’on ne pouvait pas refaire, parce que, tout simplement, ils sont gravés dans le marbre et que chaque spectateur a dans la tête et sur les lèvres les expressions, les mimiques, les regards de ceux qui ont scellé à jamais le chef-d’œuvre ; je ne dis pas que en soi, intrinsèquement Auteuil soit moins bon acteur que Raimu ou Darroussin que Charpin : l’un et l’autre ont déjà montré, dans des rôles très variés, la qualité de leur jeu, leur subtilité, leur intelligence ; mais que peuvent-ils devant ce qui a été ancré dans notre imaginaire ? On ne refait pas plus les Pagnol qu’on ne refait les Guitry, c’est comme ça…

Auteuil reprend une histoire, mais ne sait pas trop qu’en faire : il colle, ici et là, quelques bribes, quelques parcelles, quelques petits bouts du texte originel qu’il inclut dans l’anecdote, à peu près respectée, du garçon qui rêve de voyage et de la fille qui l’aime et qui veut le garder… Mais ces mots, connus, archiconnus, entendus cent fois des voix de Raimu, de Charpin, de Vattier, de Fresnay, tombent à plat et donnent même la pénible impression d’être apocryphes : une des scènes les plus célèbres du vrai Marius, la partie de cartes, par exemple : on jurerait la représentation donnée par les amateurs du Rotary local devant les pensionnaires gagas du club du troisième âge d’Aubusson… c’est terrifiant de médiocrité.

Qu’est-ce qu’on peut sauver ? Rien du tout ! Auteuil est minable lorsqu’il singe Raimu (les trois tiers du mandarin-cassis) et insignifiant lorsqu’il essaye de s’en abstraire ; Darroussin, qui est un très grand acteur, parvient à excéder. Les rôles d’Escartefigue (Daniel Russo) et de M. Brun (Nicolas Vaude) sont salopés et insignifiants. Un tout petit bémol : Marie-Anne Chazel, qui joue Honorine, la mère de Fanny, est assez bien distribuée et les scènes qu’elle joue sont les plus supportables du film.

Que dire alors de Marius (Raphaël Personnaz) et de Fanny (Victoire Belezy) ? Ils sont beaucoup plus beaux que Pierre Fresnay et Orane Demazis ; certes ; ce n’est pas un exploit, surtout pour la fille, qui a un jeu intéressant et agréable, alors que le garçon est assez figé. Mais une fois qu’on a dit ça, ça ne rachète pas la triste et bête mauvaise action commise par Auteuil. En fait, c’est si insignifiant que ça ne passera pas l’année, ni même l’été. Et je rappelle que le vrai Marius a 82 ans mais ne porte pas une ride…

Ah et puis j’ai oublié un peu de venin subsidiaire ! Le voici !

Comme dans le vrai Marius, la fin du film d’Auteuil est l’image de La Malaisie, le grand bateau qui part pour les îles de la Sonde dans le désespoir de Fanny. Et savez-vous quelle musique a été choisie pour accompagner ce qu’il faut bien appeler un drame amoureux ? La légèreté, la sérénité, la tendresse de La mer de Charles Trénet ! Pourquoi pas, tant qu’on y est, traiter ce départ en galéjade et jouer Zou, le Midi bouge ! ?

C’est avec des contresens comme celui-là qu’on saisit l’imposture…

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