Les girls du Palm Beach.
Longue liste des films de casse (L’ultime razzia, Topkapi, Le cercle rouge, Le clan des Siciliens, Bob le flambeur, Du rififi – chez les hommes – ou à Tokyo), des habiles façons imaginées pour rafler un maximum de picaillons à des banques, joailleries et organismes divers qui les collectionnent d’une façon presque indécente. La plupart du temps, la morale publique l’exigeant, les malfrats ne profitent pas longtemps de leur butin.
Presque aussi longue liste des films où des voyous rassis reprennent du service pour faire le dernier coup, quelquefois pratiquement à leur corps défendant, ou par désœuvrement (Le cave se rebiffe, Le soleil des voyous et même La horde sauvage par exemple). Souvent ces deux listes se croisent et quand ce croisement est aussi parfaitement réussi que dans Mélodie en sous-sol, irrigué du savoir-faire d’Henri Verneuil, du brio de Michel Audiard et des talents majuscules de Jean Gabin et d’Alain Delon, ça donne un de ces films excitants qu’on ne se lasse pas de revoir.
Dans ce genre-là, seul compte le rythme du récit, la vraisemblance tortueuse des péripéties et leurs incongruités forcenées n’étant que des gnognotes ; gnognotes nécessaires, si l’on veut, mais à quoi il ne faut pas s’attacher trop littéralement. En revoyant une nouvelle fois Mélodie en sous-sol et en connaissant le déroulement dans ses moindres détails j’ai particulièrement apprécié la façon dont les séquences s’emboîtent avec finesse, alternant rapidité (quelquefois glacée, silencieuse, violente : la mise à sac du coffre) et lenteur (qui fait monter la tension : ainsi le dernier quart d’heure, autour de la piscine dans l’attente du désastre final) ; et au milieu, le festival des répliques vachardes ou cinglantes : une merveille de construction dramatique.
La désuétude du monde de 1963 est visible dans ces trains de banlieue à prolos gouailleurs, où ne régnaient pas la morosité et l’anxiété devant ce qu’il est pudiquement appelé incivilités, dans le pavillon de banlieue coincé dans un Sarcelles aussi indécemment moche que toujours… Mais le sauna à masseuses complaisantes pour un petit tour de plaisir tarifé, les gambettes haut levées de girls à provenance cosmopolite, les demi-mondaines qui attendent le micheton (Te fatigue pas, Totoche, on est du même monde ! : Delon à Dora Doll qui vient d’essayer de lui faire du charme… Lucien, je crois que je vieillis : je reconnais plus un barbeau d’un gentleman…), tout cela est encore bien actuel. Comme la modernité extrême de la poisse, de la fatalité, l’esthétique du ratage…
Mis en valeur par la très efficace musique de Michel Magne, Gabin et Delon sont au sommet de leur talent et ni l’un ni l’autre ne tombent dans les travers qui peuvent quelquefois plomber leur jeu quand un metteur en scène indolent ou un scénario trop maigrelet les laissent en roue trop libre. On a rarement connu Maurice Biraud mauvais, pas plus que José Luis de Villalonga ; l’alors jeune Jean Carmet est parfait en barman à informations salaces. Et puis brefs plaisirs de revoir Dominique Davray, Henri Virlogeux, Claude Cerval, Paul Mercey…
Une notation en plus de tout cela : le plaisir de retrouver réunis Jean Gabin et Viviane Romance, vingt cinq ans après La belle équipe… Magie du cinéma, qui, au début du film, projette à nouveau les souvenirs du beau mec qui guinchait mieux que personne et de la vraie salope qui a fait échouer l’utopie de la guinguette des bords de Marne… Comme si le temps les avait réconciliés.