Ne fait pas dans la dentelle...
Un peu victime de la fin extrêmement pathétique et sans doute aussi d’une petite faiblesse due à la canicule de ce début d’été, j’étais tout proche de donner une très bonne note à ce film de Clint Eastwood, cinéaste que je m’acharne à découvrir et qui, jusqu’à présent en tout cas, ne m’a pas donné des émotions bien profondes, m’apparaissant comme un habile faiseur de films noirs mais plutôt tordus.
Et finalement superficiels et souvent mélodramatiques. Après avoir laissé passer un jour ou deux sur mon impression initiale, je reflue un peu, ne donnant qu’une note honorable à Million dollar baby, qui est tout de même assez pesant – pour ne pas dire assez lourdaud – parce qu’il accumule sur les mêmes têtes la quasi totalité des malheurs et vacheries du monde et n’hésite pas à aller chercher dans l’esprit du spectateur le détestable goût du larmoyant qui brouille, du fait de sa grandiloquence, l’objectivité du jugement.
Il est sûr, déjà, que le film ne me réconciliera pas avec la boxe (en tout cas la boxe dite professionnelle – voir les échanges que nous avons eus jadis sur le fil de Raging bull -) qui me semble une des activités les plus méprisables de l’espèce humaine et n’est séparée des entre-égorgements des gladiateurs antiques que par l’épaisseur d’un fil. Je ne doute pas d’ailleurs que nos belles années à venir verront paisiblement, doucereusement, s’établir des formes de combats de plus en plus dangereuses, où le sang coulera avec encore plus d’abondance, emplissant d’une malsaine volupté des gens qui payeront leur droit à l’émotion (puisqu’on a désormais à peu près droit à tout, notamment de disposer de son corps – nous y reviendrons plus loin). Les gens aiment la violence dit au début du film Clint Eastwood. Et, dans Deux cavaliers de l’orage de Jean Giono : Il faudrait avoir un homme qui saigne et le montrer dans les foires. Le sang est le plus beau théâtre (…). On voit des choses extraordinaires dans le sang. Tu n’as qu’à faire une source de sang, tu verras qu’ils viendront tous.
Toujours est-il que la sauvagerie des combats est absolument répugnante. J’ajoute qu’elle est assez peu vraisemblable, une dizaine d’assauts intervenant dans un très court laps de temps (18 mois entre le premier et la championnat du monde est-il dit à un moment) et les coups interdits pouvant tout de même difficilement n’être pas vus à la fois par l’arbitre et les juges.
Mais bon ; on peut passer sur ces anomalies et admirer bon nombre de trouvailles : la qualité des liens qui unissent, d’abord, Frankie Dunn (Clint Eastwood) et son adjoint Eddie (Morgan Freeman) puis aussi Eddie et Maggie Fitzgerald (Hilary Swank) ; j’aime aussi l’atmosphère verdâtre, poisseuse, crasseuse de la salle de boxe et le petit monde de coqs de village, de laissés pour compte et de rêveurs plutôt timbrés qui s’y retrouvent ; et naturellement, l’espèce de dégueulis humain de la famille de Maggie (on est tellement content, lorsque à la fin, quand ces larves tentent de lui arracher sa signature pour la spolier, elle se rebiffe !).
Et la question de l’euthanasie, qui est centrale. D’autant plus qu’Eddie essaye de voir un peu plus loin que le bout de son nez, se pose les questions qu’il faut, qu’il continuera à se poser après qu’il aura donné la mort à Maggie. Ainsi que lui dit le prêtre qu’il consulte : (Si tu fais cela), tu seras perdu dans une telle abîme que tu ne te retrouveras jamais.
Voilà : nous retrouvons la libre disposition du corps que j’évoquais plus haut. Vaste débat et vaste drame qui se jouent tous les jours dans la plupart des hôpitaux du monde ; on les résout différemment et à l’effacement programmé des vieillards (Soleil vert mais aussi La carte et le territoire de Michel Houellebecq) répond le geste empathique de ceux qui n’exigent pas à la Société de réglementer par un texte un problème aussi dramatique que spécifique (Johnny got his gun, 37°2 le matin ou Amour). C’est bien dans ce sens, qui est le bon, que va Million dollar baby.