Histoire d’un saint…
La semaine Sainte se prêtant particulièrement bien à la découverte d’un film édifiant (c’est-à-dire, comme il est rappelé par un intervenant du supplément, qui édifie quelque chose), j’ai regardé avec beaucoup de tendresse et d’émotion ce Monsieur Vincent, qui restera sûrement comme la seule œuvre présentable de Maurice Cloche. (Il faut, d’ailleurs, que la sainteté du sujet soit grande pour avoir porté à ce niveau la qualité d’un réalisateur au patronyme malencontreux et au talent médiocre).
Mais que c’est bien ! Que c’est bien un film qui croit en ce qu’il raconte ! L’enthousiasme de ceux qui ont tant souhaité sa réédition n’est pas de commande et n’est pas excessif : l’histoire de Saint Vincent de Paul est si belle, si forte, si fervente, elle réchauffe si intensément les cœurs et guérit si fort les lassitudes qu’elle ne tombe jamais dans le convenu et la niaiserie.
C’est l’histoire d’un saint ; un saint, ce n’est pas un rebelle, ce n’est pas un révolté ; ou alors, si l’on veut, d’un révolté contre lui-même, en aucun cas contre l’ordre du monde, qui est ce qu’il est, et qui est fonction du plan de Dieu, insaisissable à l’Homme. Mais ce qui incombe à l’Homme, ce n’est pas de faire la révolution sociale, c’est de faire sa révolution intérieure ; pas de substituer le pauvre au riche et la base au sommet – on ne fait alors qu’intervertir les rôles – mais c’est bien de s’ouvrir à l’Autre et au Don.
Nos yeux modernes, voyant l’action de Vincent de Paul dans la France des premières années d’un 17ème siècle qui émerge à peine des guerres de Religion et qui subit, même indirectement, les affreux conflits qui ravagent l’Europe (la guerre de Trente ans), songent inévitablement à l’Abbé Pierre. Le film de Cloche date de 1947 ; l’hiver 54 n’est pas loin, et pas loin l’effusion de la charité des Chiffonniers d’Emmaüs ; il est même assez frappant de constater la ressemblance des dégaines de Saint Vincent (Pierre Fresnay) et d’Henri Grouès et je ne gage pas que Monsieur Vincent, qui eut un immense succès public (7 millions de spectateurs en France) n’ait pas eu d’influence sur l’action du jeune prêtre lyonnais : chez l’un et chez l’autre, appel à l’opinion, à ceux qui ont la chance d’être nantis : chez l’un et chez l’autre la même conviction que le riche n’est pas plus intrinsèquement mauvais que le pauvre n’est bon (il est simplement plus difficile au riche d’atteindre le royaume des Cieux…)…
L’appel de Saint Vincent à la haute aristocratie, à ces dames du Monde qui, par effet de mode sans doute au début, puis, graduellement, se prenant à leur propre jeu – ou plutôt au jeu de la Grâce – deviendront, mêlées à d’humbles paysannes, ces Filles de la Charité, dont les immenses cornettes emplissaient encore naguère les hôpitaux et les hospices, cet appel ressemble à celui de l’Abbé Pierre, à celui de Coluche, à celui de Mère Térésa ; il leur ressemble – ou, plutôt, il les inspire – parce qu’il rassemble.
C’est l’histoire d’un saint, donc. Assez curieusement, le cinéma, peu avare en représentations bibliques, en Vies de Jésus, en histoires de la chrétienté primitive, a assez rarement mis en scène l’aventure de la sainteté. Me viennent à l’esprit, en plus des récits inspirés par Lourdes (Bernadette), l’indépassable Thérèse de Cavalier… Mais chez les hommes ? Les Onze fioretti de François d’Assise de Rossellini et François et le chemin du soleil de Zeffirelli sur le même extraordinaire bonhomme… Mais rien sur Saint Paul, rien sur Saint François Xavier, aux vies aventureuses, rien sur Charles de Foucauld, dont l’existence est un roman et la mort une énigme…
J’ose l’hypothèse que l’influence majeure de la mentalité étasunienne, c’est-à-dire protestante, c’est-à-dire fermée à la vénération des saints, comme l’est le catholicisme, y est pour quelque chose… Mais pourquoi, même en Italie, en Espagne ou en France l’image du saint a-t-elle été si effacée ?
C’est une raison de plus pour admirer le beau Monsieur Vincent, avec un Fresnay inspiré, empli d’amour et de force calme et toute une kyrielle d’acteurs de grande qualité. Édition excellente, image et son restaurés.
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Une suggestion à ceux qui aiment le Paris étrange : la chapelle des Lazaristes, 95 rue de Sèvres (6ème), en face des Magasins du Bon Marché, où, depuis 1830, reposent dans une châsse d’argent, les reliques du Saint.