Le fléau de Dieu.
Je me demande bien ce qui m’a poussé, tout à l’heure, à acquérir pour trois francs, six sous chez un soldeur cauteleux (qui voulait me vendre sa boutique) un film où jouent plusieurs de mes aversions perpétuelles : Édith Piaf, Jean-Louis Barrault, Henri Vidal, avec des dialogues d’André Cayatte… Et ce n’est pas qu’ils soient compensés par quelques autres acteurs que j’apprécie bien davantage, Paul Meurisse voire Léonce Corne ou Paul Demange mais qui ne sont là que des utilités… Je note aussi, assez goguenard, que pour ce film tourné en 1941 deux acteurs qui n’avaient pas d’antipathie pour la férule allemande, Roger Duchesne et René Bergeron cohabitaient avec d’autres, proches du communisant Groupe Octobre, Gaston Modot (rôle minuscule, il est vrai) et toujours Jean-Louis Barrault qui s’empiffra à tous les râteliers.
Comment vous n’aimez pas Édith Piaf ? vont s’exclamer beaucoup de ceux qui ont imprudemment commencé à lire les premières lignes de ce message ! Quelle irrévérence pour la grande voix de la chanson française, pour un de ces mythes solides qui constituent une part de notre identité ? Comment, vous n’appréciez pas cette voix déchirante, ces qualités de tragédienne de la chanson, cette vie qui est presque à soi seule une légende ? Eh non, je n’apprécie pas, j’ai en horreur tout le folklore larmoyant qui s’attache à la gamine née sur les marches du 72 rue de Belleville (une plaque le rappelle, mais il paraît que c’est, en fait, de la blague), biberonnée au vin rouge, élevée plus ou moins dans la maison close d’une de ses grands-mères, frappée de cécité, guérie par l’intercession de Sainte Thérèse de Lisieux, révélée par Louis Leplée et tout le tremblement. Sa réputation de mangeuse d’hommes jeunes et vigoureux me laisse à peu près indifférent, mais surtout sa voix m’exaspère. C’est comme ça ; j’ai sûrement tort, eu égard à l’adulation dont elle bénéficie encore aujourd’hui, mais je n’y peux rien : je n’ai jamais pu la pifer.
Les esprits supérieurs et, d’une certaine façon, mon for intérieur (une des plus subtiles distinction du droit canonique, soit dit en passant), se gausseront donc que, nanti de telles préventions, j’aie pu passer 1h23 de ma vie à regarder un film, au son au demeurant absolument salopé par le margoulin René Chateau. Ah ! Va savoir ! L’âme de l’homme est un abîme de contradiction et l’esprit une perpétuelle guerre civile…
Le cinéma de deuxième rang, à l’époque, avait notamment pour mission de régaler les sages populations du Berri ou du Velay de l’image des vedettes et de la fréquentation des grands sites parisiens. Pour une petite production comme Montmartre-sur-Seine, la présence de Piaf et quelques images du Sacré Cœur et de ses alentours (au demeurant dépouillés presque de touristes et jonchés de vrais commerces) suffisaient à esbaudir le public confiant de Vierzon ou d’Yssingeaux. En plaquant là-dessus une intrigue gentille où, malgré les mauvais coups de la vie, les amoureux solides se retrouvent à la fin à peu près comblés, on était sûr de réussir son coup. Donc la brave Lily (Édith Piaf), gentille fleuriste dotée d’un filet de voix est passionnément désirée par Michel (Jean-Louis Barrault) non moins brave garçon de son voisinage, mais elle s’est entichée d’un amour de tête pour Maurice (Henri Vidal), beau garçon artisan doreur, qui en pince lui-même pour Juliette (Huguette Faget) mignonne fille de son patron.
Je passe les détails de l’intrigue amoureuse, d’une grande simplicité niaise ; mais je note qu’afin de permettre à Édith Piaf d’interpréter trois ou quatre chansons, les scénaristes ont dû, très artificiellement, introduire dans leur récit la visite hasardeuse à Montmartre de deux gandins, Claude (Roger Duchesne) et Paul (Paul Meurisse) dont le flair va engager la jeune Lily dans une grande carrière de chanteuse qui, pour autant, s’apercevra à temps de l’amour pur et désintéressé que lui portait le sympathique et émacié Michel.
C’est très bête, les chansons (pourtant de Marguerite Monnot, qu’on a connue mieux inspirée) sont insignifiantes et Édith Piaf est laide à faire peur.