C’est solide et c’est bien fait.
Je ne suis pas grand amateur de romans policiers et, si j’ai bien dû lire deux ou trois Agatha Christie (évidemment Dix petits nègres et Le meurtre de Roger Ackroyd, comme tout le monde), je ne connaissais pas Mort sur le Nil ; j’ai donc eu beaucoup de plaisir à découvrir l’intrigue compliquée et la solide adaptation faite par John Guillermin.
Cela écrit, qui est sympathique, je vois tout de même bien les ficelles du genre, à quoi on peut se laisser prendre mais qu’on devine toujours : dès lors qu’il est posé, comme un théorème absolu, que le coupable est le protagoniste le moins soupçonnable, on s’attend naturellement qu’à la fin, cette insoupçonnabilité soit retournée comme crêpe à la Chandeleur. On applaudit vivement, sans bouder son plaisir et on crie Bravo l’artiste ! en se disant Tiens, je ne l’avais pas vu venir, celle-là, comme lorsque le prestidigitateur fait sortir un douzième couple de colombes de sa manche.
Le récit est posé de façon classique et extrêmement reposante : présentation des personnages, découverte graduelle de ce qui les lie (c’est-à-dire, en l’espèce, les raisons qui peuvent pousser tous les personnages de la croisière à vouloir la mort de la richissime Linnet Ridgeway/Lois Chiles), déroulement du drame, qui ne peut être empêché par le détective Hercule Poirot/Peter Ustinov, soupçons successifs envers tous les voyageurs puis résolution de l’énigme et dévoilement du meurtrier. Le huis-clos (ou quasi tel) favorise l’interaction des rôles et élimine toute intrigue parasite. À la fin, comme chez la Comtesse de Ségur, il n’y a plus la moindre trace de mystère : tout a été élucidé.
Qu’est-ce qui pouvait mieux qu’un périple sur le plus mythique fleuve du monde donner à voir des personnages pittoresques dans un cadre admirable ? Après une très courte incursion dans la campagne anglaise où Linnett Ridgeway pique au premier regard à son amie pauvre Jacqueline (Mia Farrow) son beau fiancé Simon Doyle (Simon MacCorkindale), nous voici au fabuleux hôtel Old Cataract à Assouan, où le président François Mitterrand allait rituellement passer la fin de l’année.
Voici les physionomies singulières qui vont partager l’aventure : outre le couple en lune de miel, rejoint par la vindicative Jacqueline, il y a le couple bizarre en perpétuelle dispute (et d’évidence homosexuel) formé par Mrs Van Schuyler (Bette Davis) et sa dame de compagnie Miss Bowers (Maggie Smith), la romancière nymphomane et alcoolique Salomé Otterbourne (Angela Lansbury) et sa fille Rosalie (Olivia Hussey), Louise, camériste de Linnett (Jane Birkin), le médecin charlatan Ludwig Bessner (Jack Warden), le dilettante marxiste Jim Ferguson (Jon Finch), Andrew Pennigton, homme d’affaire véreux de Linnett (George Kennedy). Tout cela sous le regard attentif d’Hercule Poirot (Peter Ustinov, donc) et du colonel John Race (David Niven), celui-ci veillant sur les capitaux de Linnett au nom de ses intérêts britanniques. On peut aussi ajouter Sharburi (Inderjeet Singh Johar), l’indigène majordome du bateau.
Tout ce petit monde (7 hommes et 7 femmes) est excentrique et exaspérant, consomme des cocktails à une fréquence déraisonnable, navigue au milieu de paysages de rêve et se déteste cordialement. Brusquement, angoisse et menaces : à noter une scène très impressionnante et très réussie lors d’une excursion au milieu des austères colonnades du temple de Karnak, entre l’ombre et la lumière, dans un absolu silence… jusqu’à ce qu’un roc projeté du faîte du temple manque écraser Linnett…
Ainsi de suite : je ne vais pas raconter la suite et la fin qui font, il faut l’avouer, l’essentiel de l’intérêt du film jusqu’à son apothéose où donc, Poirot, triomphal, ayant réuni tout son monde au bar, dévoile les dessous des crimes commis. C’est en tout cas très bien fait et plaisant. Mais je me demande si, l’ayant vu, je regarderais un jour à nouveau Mort sur le Nil, alors que j’ai bien vu dix fois Les diaboliques ou L’assassin habite au 21 et ne m’en lasse pas…