Superbe et éclatant et pathétique
Sans doute, et vraisemblablement pour des raisons qui tiennent à ce que pouvait être la nature profonde de l’Hollywood de 1952, Huston a-t-il affadi, et même gommé la déchéance mortifère et la descente aux enfers de Toulouse-Lautrec, sans doute a-t-il introduit des éléments sentimentaux, romanesques, et même mélodramatiques qui appellent l’attendrissement et l’émotion, mais quand l’histoire d’amour avortée, abusivement prêtée au peintre s’incarne dans le magnifique personnage – totalement inventé – de Myriam Hayam, joué avec un talent fou et une admirable sensibilité par une Suzanne Flon
que je ne devinais pas si belle, on peut pardonner largement les libertés prises avec la vérité « historique », qui conduisent, paradoxalement, à une véracité essentielle.
Tout le début du film est un enchantement de couleurs, baignées dans une lumière longuement travaillée pour ressembler la plus possible aux tons éteints des toiles du peintre ; il y a là un rythme, un mouvement, une allégresse folle, des dégaines extraordinaires (par exemple Valentin le Désossé – Walter Crisham qui parvient, malgré un assez médiocre maquillage, à crever l’écran), un tourbillon qu’on imagine très bien avoir été celui du Paris de la fin du 19ème siècle, déjà éloigné de 1870, encore loin de 1914…
La performance d’acteur de José Ferrer
est époustouflante, et pas seulement physiquement, parce qu’il a interprété un nabot aux jambes atrophiées en marchant sur les genoux ; il y a en lui un regard d’une intense lucidité et d’une infinie tristesse qu’on devine bien avoir été celui de Toulouse ; je connais mal cet acteur dont je vois qu’il a interprété aussi Cyrano de Bergerac, dans plusieurs versions, notamment celle de Michael Gordon en 1951 (Cyrano de Bergerac
) ou Cyrano et d’Artagnan
d’Abel Gance
en 1964 ; un de ses derniers rôles est celui de l’empereur Paddisham IV, dans le Dune de David Lynch
; étrange et subtil parcours !
Que tous ceux que la nouillerie hystérique de Baz Luhrmann révulse se précipitent donc sur ce Moulin Rouge
et prennent aussi une gorgée de l’admirable French Cancan
de Jean Renoir
: ce sera une cure de decillement d’yeux abîmés !