C’est tout de même bien long, trois heures en deux époques, même si on conçoit bien que pour évoquer la fabuleuse figure et le drôle de destin du Corse aux cheveux plats, on ne puisse resserrer trop le récit, sauf à rendre incompréhensibles les événements historiques. Et d’ailleurs même en trois heures, il y a beaucoup d’impasses (la guerre en Espagne complètement tue, la retraite de Russie à peine évoquée, le blocus continental ignoré…).
Si Versailles, en 1954, tournait autour d’un sujet concentré dans l’espace, et même dans le temps (trois petits siècles) en 2h40. Si Paris, en 1956, embrassait trop de temps (près de deux millénaires) et trop de sujets pour être aussi réussi. Napoléon est le plus long des trois films et manque souvent de rythme, malgré les mots toujours drôles, malgré quelques scènes quelquefois brèves, mais fortes, sur quoi je reviendrai.
En fait, à mes yeux, la meilleure des promenades historiques de Guitry, c’est Remontons les Champs-Élysées, suivie de Si Versailles, Les perles de la Couronne étant enfilées sur une trame un peu artificielle.
Donc, Napoléon, qui souffre de bien des défauts. Je tiens pour peu de choses les absurdités désinvoltes du type grand soleil encore très haut dans le ciel lorsque, le 2 décembre 1805, le commentaire indique comme tenue pour gagnée à 6 heures la bataille d’Austerlitz, ou les frondaisons de plein été du parc de Fontainebleau lorsque Napoléon y accueille le Pape le 25 novembre 1804 : ce ne sont que des broutilles, que seuls de vieux matous comme moi relèvent.
Je ne trouve pas très heureux, non plus, les intermèdes musicaux qui ponctuent le film : le ténor Garat incarné par le melliflu Luis Mariano qui chante Plaisir d’amour devant les invités de Barras (Pierre Brasseur, très bien), le ballet dansé par une partie de ces invités dans le parc, au soleil levé, ou même la complainte, au bivouac de Wagram, reprise successivement par je ne sais qui, puis par le Maréchal Oudinot (Armand Mestral), puis par le Maréchal Lefebvre (Yves Montand). Tout cela rompt un peu le rythme et n’apporte rigoureusement rien.
Trop nombreuses les vues de bataille (il est vrai qu’on peut difficilement s’en passer dans un film sur Napoléon) ; on voit que, pour l’époque, et sans l’artificiel ajout numérique qui peut noircir les plus vastes plaines d’innombrables combattants, ce n’est pas mal, mais enfin, le génie de Guitry n’est pas là ; pas là du tout.
Il est naturellement bien meilleur lorsqu’il s’agit de parler des femmes bien que, dans Napoléon, elles passent à la fois dans l’espace filmé, mais accrochent peu (à part les beaux yeux vides de Michèle Morgan en Joséphine de Beauharnais) ; même ma chère Danielle Darrieux est un peu pâlotte.
En fait, le plus grand amour de Guitry fut moins les femmes que la France, et sa grande pensée est exprimée, dans Napoléon par Pauline Carton, qui interprète une aubergiste chez qui Napoléon, au retour de l’île d’Elbe fait étape. Elle s’exclame Vive l’Empereur ! et, goguenard, il la taquine, la soupçonnant d’avoir encore crié Vive le Roi ! la veille. Et Carton de donner cette belle leçon : Crier « Vive quelque chose ! », ou « Vive quelqu’un ! », c’est encore crier « Vive la France ! » ; ce qui n’irait pas, c’est qu’on en soit à crier « A bas quelqu’un ! ». Belle leçon !
J’évoquais plus haut quelques moments qui, trop perdus dans un film un peu languissant, marquent l’esprit, bien qu’ils soient très brefs : le Maréchal Lannes (Jean Gabin), les deux jambes amputées après la victoire d’Essling et montrant en expirant à Napoléon le champ de bataille dévasté en beuglant Assez !, l’échange de dessins entre Montholon (Jean Marais) et Hudson Lowe (Orson Welles) sur la pierre tombale du mort, l’exécution de Ney (Clément Duhour) et de Murat (Henri Vidal). On pourrait revenir sur la cérémonie du Sacre du 2 décembre 1804, qui, malgré une très belle marche écrite par Jean Françaix, habituel collaborateur de Guitry, fait un peu mesquin ; autant aurait valu, comme Abel Gance dans Austerlitz faire narrer par Ségur (Jean-Louis Trintignant) aux serviteurs émerveillés l’ordonnancement de la cérémonie devant une immense maquette…
Mêlant petite et grande histoire, personnages de premier plan et silhouettes inventées – ou non -, mots historiques et traits d’esprit personnels, selon sa formule habituelle, Sacha Guitry a tout de même un peu de mal à maintenir constamment l’intérêt…